Cela fait maintenant quatre ans que Frédéric Martin des éditions Le Tripode travaille sur le projet d’éditer l’ensemble de l’oeuvre de l’artiste allemande Charlotte Salomon. Lorsqu’il est tombé sur certaines de ses peintures, il a ressenti comme une révélation, le sentiment de tomber sur la chapelle Sixtine en kit.
Pourquoi en kit ? Parce que la jeune femme a peint 1300 pages en un an et demi et que l’ensemble de ses pages forment un roman graphique incroyable où chaque planche est une oeuvre d’art moderne. Elle accompagne ces peintures d’un texte de commentaire, et indique la musique ou la chanson adéquate qu’elle a fredonnée au moment de dessiner ou qu’elle souhaite l’y voir associée.
Charlotte Salomon est née à Berlin le 16 avril 1917 et a été assassinée par les Nazis le 10 octobre 1943 dans une chambre à gaz à Auschwitz. Elle n’avait que 26 ans. Son histoire personnelle comme celle de son pays sont si sombres que la jeune femme sera prise d’une frénésie après s’être réfugiée à Nice. Elle se sentira poussée à raconter cette double malchance, la sienne mêlée à l’anéantissement de sa famille par un sombre destin comme celui de son pays qui se précipite vers la barbarie.
Le titre qu’elle a choisie est Vie ? Ou théâtre ? (en allemand Leben ? oder Theater ?
Ein Singespiel, ein singespiel est une pièce chantée, une sorte d’opérette que la traduction française minorait l’importance de part notre tradition de farces mises en musique). L’éditeur a donc traduit ces annotations, comme certains courrier ou commentaires qui éclairent la psyché et la vie de la jeune femme.
Une petite délégation du Musée juif d’Amsterdam s’est rendue à Paris pour assister à la présentation du gigantesque volume à quelques personnes de la presse dont Onirik a eu la chance de faire partie. Il est incroyable de constater que la même passion pour l’artiste anime à la fois l’éditeur, comme les responsables du musée ou David Foenkinos que nous avions rencontré alors qu’il travaillait à son livre sur Charlotte. On les sent tous sous le puissant charme de la flamboyance éphémère de son existence.
Il y a quelque chose de fort qui se passe lorsqu’on se perd dans les gouaches de la jeune femme. C’est à la fois frais, jeune mais possédant une maturité, une force incommensurable. Bien que ce soit de l’expressionnisme allemand, le style n’est jamais fixé et un nombreux public peut s’y sentir à l’aise car on peut y reconnaître également du fauvisme, de l’impressionnisme plus accessible au grand public.
Frédéric Martin nous précise qu’elle peignait seulement qu’avec trois couleurs de tubes de gouache sur du papier Canson... Comme le matériel des écoliers. Pourtant, ce qu’elle réussit à faire avec ces teintes sans noir ni blanc est impensable et c’est pourquoi cette simplicité combinée à ce génie touchent autant ceux qui s’y arrêtent.
La première peinture relate le suicide de sa grand mère et la dernière représente le moment où son grand père lui dit d’en finir avec cette parodie de vie. Pour Frédéric Martin, plus qu’un travail de dessinateur, c’est un roman graphique d’apprentissage, initiatique, qui parle à tout à chacun. Etudiante aux Beaux Arts de Berlin avant de s’enfuir pour la France, elle diversifie son talent lui donnant des airs de Manet ou Edvard Munch sans jamais avoir un sentiment de copie, comme des inspirations sur lesquelles elle se hisse jusqu’à sa propre mélodie.
Le plus difficile dans ce travail titanesque a été de rendre exactement (du moins au plus proche) les couleurs choisies par la peintre. Des livres ont déjà reproduit que très partiellement les gouaches, et la responsable de l’impression s’est rendue compte en allant à Amsterdam où elles sont conservées qu’elles ne correspondaient pas aux couleurs des œuvres.
Elle a fait de nombreux aller-retours entre l’Italie (lieu d’impression) et Paris ou les Pays-Bas pour s’assurer que l’impression sur le papier non couché rende l’intensité et la véracité de l’ensemble. On note également que le volume reproduit les gouache à leur taille réelle.
La partie écrite des commentaires de chaque feuille comporte en tout 200 000 signes, la taille d’un roman. De part le nombre de tableaux, il n’est pas possible de tout afficher dans un musée, c’est pourquoi cet ouvrage est un énorme pas en avant pour la reconnaissance du travail de Charlotte Salomon (plus connue dans les pays anglo-saxons où des pièces, des objets multimédias sont créés régulièrement) et qui a obtenu l’approbation du Musée juif d’Amsterdam, gardien de l’oeuvre. A partir du travail herculéen fourni, il va être possible d’en proposer des traductions et donc de combler un vide. D’ailleurs, pour le centenaire de sa naissance, des commémorations devront la mettre de nouveau sous la lumière des projecteurs.
Que vous soyez amoureux des arts, curieux de culture ou d’histoire, ou juste intéressé pour la diversité, goûtez les tableaux de Charlotte Salomon, vous en sortirez grandit, différent !
Valquirit
Crédit photo : VR pour Onirik.net
L’oeuvre complète de l’artiste allemande Charlotte Salomon a été magnifiquement compilée dans un superbe ouvrage par les Editions Tripode. Crédit photo : VR pour Onirik.net
Posted by Onirik on jeudi 17 septembre 2015