Le 16 juillet est apparu sur mon fil d’actualité Facebook l’article Pourquoi est-ce si difficile de se séparer des livres?
Impossible pour moi de ne pas cliquer sur un tel titre ! L’amoureuse des livres que je suis voudrait bien trouver à son projet secret : celui de lire et de posséder tous les livres qui existent sur Terre.
Trêve de plaisanterie, j’ai été si peinée et déçue par cet article… il commençait pourtant si bien ! La première phrase est divine : Vous pouvez tout jeter mais vous ne pourrez pas toucher à mes livres. Mais oui, pour moi aussi. Mes livres, ce sont mes biens les plus précieux. Du petit livre de recettes acheté en déstockage dans un supermarché à mon exemplaire du Hobbit signé par Tolkien lui-même. Si mon appartement brûlait, ce serait les seuls biens physiques que je pleurerais ! C’est pourquoi je me suis sentie véritablement méprisée à la fin de cette lecture.
Je ne vous conseille pas de lire l’article, mais si vous voulez comprendre la suite, il vaudrait mieux.
Dès la première ligne de ce papier, on note un problème. Son auteur profite dès le début de mettre en avant ses livres sur le désencombrement en les confrontant au fouillis ambiant des livres de la personne qu’elle visite… Ça va l’ego ? Les chaussures n’ont pas explosé à cause de l’augmentation soudaine ? Vu la suite, ça a l’air d’aller. Le mode impératif ne laisse aucune place à la discussion et les questions rhétoriques infantilisent bien le lecteur, tout est réuni pour un parfait article bien moralisateur.
Constituons. Aujourd’hui encore, certains tentent de montrer leur culture par des bibliothèques remplies du sol au plafond et qui concentrent surtout beaucoup de poussière. C’est certainement le cas de bien des gens, surtout quand on sait qu’il existe des sociétés qui louent les livres pour faire bonne mesure et se la jouer devant des invités. J’ai plusieurs bibliothèques remplies jusqu’au plafond, j’ai même des livres posés à même le sol, empilés là où je trouve encore de la place. Mes livres concentrent beaucoup de poussière, c’est vrai. Par contre, non, je ne tente pas de montrer ma culture, en tout cas, pas par ce biais.
En effet, je suis quelqu’un de solitaire, et très peu de gens entrent chez moi. Ceux qui entrent sont mes amis, qui me connaissent, et qui, par la force de l’amitié, ont pour la plupart un intérieur bien « livresque », qui ressemble au mien, et qui ne vont donc pas prendre mon fatras de livres pour de l’arrogance. Vous pensez vraiment que je veux en mettre plein la vue aux livreurs qui ne font que passer et je verrai au maximum dix minutes dans ma vie ? Que vous le croyiez ou non, on ne fait pas tout pour se faire mousser. Ma voiture est pourrie, mais quant à dépenser 10 000 euros (et encore) dans un belle caisse aux jolies lignes, j’aime mieux garder mes sous ou les dépenser en produits culturels.
Quant à la poussière, c’est le dernier de mes soucis, et pour tout dire, j’aime cette poussière. L’ôter d’une couverture du plat de la main est un véritable plaisir !
Or les livres n’ont de valeur que si vous les utilisez. Ah oui, c’est du lourd là ! L’utilisation des livres. Mis à part pour des dictionnaires et quelques ouvrages pratiques, je pense qu’on a un sérieux problème de vocabulaire. Je lis un livre, pour ma part, je ne l’utilise pas. Je le feuillette, je regarde les images, ou en admire la couverture, mais ces notions restent pour moi bien loin du terme utilisation. Il faudrait donc selon l’auteur, utiliser régulièrement un livre pour qu’il ait de la valeur. Certains de mes livres n’ont pas été sortis de mes bibliothèques depuis mon emménagement dans mon appartement actuel, il y a cinq ans.
Pour la peine, je me lève et observe. Je prends le premier : Le ruban moucheté, de Sir Arthur Conan Doyle. Sir Doyle serait ravi d’apprendre que ses livres n’ont aucune utilité. Pour ma part, j’aime mieux repenser à l’intrigue avec délices, me souvenir de la fois où j’ai découvert l’auteur et son fabuleux Sherlock Holmes pour la première fois.
L’auteur pose ensuite une question intéressante : Sincèrement, dans votre bibliothèque, combien de livres achetés sur un coup de cœur et que vous vous êtes promis de lire – un jour – et qui attendent depuis des lustres?.
Sincèrement ? Je dirais une centaine sur les bons 3 000 livres que je possède.
J’ai une pathologie navrante : si j’entre dans une librairie, je suis incapable d’en sortir les mains vides. Jusque là, je mettais ce défaut sur le compte de ma curiosité, de ma joie de découvrir, de mon enthousiasme. Mais comme je suis critique littéraire, je n’ai pas toujours le temps de lire ce que j’ai acheté, les livres que je reçois pour le travail passent en priorité. Et quand bien même on n’est pas critique de profession, on a d’autres engagements, envers sa famille, ses amis, son travail, d’autres passions que la lecture… Cette remarque vaut pour d’autres personnes. Les fondus de cuisines, combien d’accessoires possédez-vous dont vous ne vous êtes jamais servis ? Les modeux-ses, combien possédez-vous de vêtements que vous n’avez jamais portés ? Objecter ce défaut aux amateurs de livres me semble bien hypocrite !
Posséder ces livres, même si je n’ai pas encore eu le le temps de les lire, me rend heureuse. Je les ai et un jour, je les lirai. Mais oui ! C’est une sorte d’espoir en l’avenir. Et si je ne les lis pas, et bien quoi ? Quel mal ai-je fait ? Vais-je être lapidée ? Selon Madame Régimont, je ne devrais pas les acheter car Vous ne pouvez donc pas thésauriser avec des livres. Ben oui je le sais, mais comment dire ? Je m’en fous complètement. Tout simplement parce que je n’ai pas l’intention de les revendre.
Attention, la suite risque de vous faire rigoler. Il faut bien qu’on s’amuse ! C’est le grand moment de la psychologie de comptoir. Si vous collectionnez les livres sur les batailles napoléoniennes ne vous étonnez pas de toujours être sur la défensive. Si vous aimez des romans à l’eau de rose, il se peut que vous idéalisiez vos relations sentimentales et que vous viviez dans l’insatisfaction de la vie réelle.. Seul un anglicisme pourra exprimer ce que j’ai ressenti à la lecture de ces deux phrases : « What the fuck ? » Donc si je possède un grande quantité de livres sur les témoignages de femmes battues tels que Jamais sans ma fille ou Vendues !, je devrais signaler à mon mari d’être un peu sévère avec moi ? J’ai l’intégrale des Téméraire de Noami Novik, j’ai un problème avec les dragons ?
Ne peut-on pas aimer l’époque napoléonienne simplement parce qu’on y trouve un intérêt ? Ne peut-on pas lire de romance sans être heureux en ménage, mais juste parce qu’on est fleur bleue ? Madame Régimont aime la déco épurée : un signe de ce qui se trouve dans sa tête également ? Non parce qu’on peut aller loin comme ça…
Dès que vous les avez lus, partagez-les, donnez-les, vendez-les… A quoi sert ce roman noir mal écrit ou mal traduit que vous avez fini et qui vous laisse un sentiment mitigé? A me faire réfléchir par exemple ? Qu’on juge un livre mal écrit c’est une chose. Ca ne veut pas dire qu’il le soit, il a certainement plu à d’autres personnes. Je ne vais pas lancer le sujet 50 nuances de Grey ou Twilight. Et j’ai chez moi des livres qui m’ont déplu. Simplement, je leur reconnais des mérites, qui ne correspondent pas forcément à mes valeurs. Ça s’appelle avoir l’esprit ouvert.
Finissons la lecture de cet article. Alors, libérez-vous… faites bouger vos livres ! Vous verrez à quel point votre vie pourrait s’en trouver transformée! Ah ben pour ça elle serait transformée, pour sûr ! Je serais horriblement malheureuse et ce serait tout vide chez moi, mais surtout dans ma tête et dans mon cœur !
C’est fini. Ouf ! Mais je voudrais quand même savoir : pourquoi gardons-nous nos livres ? Parce que vous n’avez pas apporté de réponse à la question, Madame Régimont. Donc, je voudrais apporter la mienne.
Je garde mes livres parce que je les aime. Tous. Même ceux que j’ai trouvé médiocres ou mauvais.
Vous semblez ne voir que la surface des livres, c’est à dire, leur valeur monétaire. Mais la valeur peut être autre que monétaire. Sentimentale. Culturelle. Émotionnelle. Comment peut-on juger les choses qui nous entourent uniquement par le prix qu’on les a payées et ce qu’elles vont rapporter à la revente ? C’est d’une tristesse ! La vie doit être bien vide avec un pareil raisonnement. Pas de voyage, ça coûte cher, et ça ne rapporte rien. Pas d’animaux de compagnie, ce sont des gouffres financiers. Pas de bibelots, ça ne fait que prendre la poussière et ça se refourguera à grand peine 50 centimes sur brocante.
Mes livres ont de la valeur. Ils m’ont distraite, certes, mais ils m’ont fait voyager, m’ont fait réfléchir, m’ont fait rire ou pleurer, m’ont fait frémir ou horrifier, m’ont fait changer d’avis. Ils ont été là dans des moments où je n’avais personne. Ce sont à eux que je dois, en grande partie, la personne que je suis aujourd’hui. Et ce sont à eux que je devrai ma personne future, qui sera différente car elle aura évoluée. Ce ne sera pas mon argent ou mon bien immobilier qui me fourniront une curiosité intellectuelle ou des réponses aux questions qu’amènent la vie.
Vous parliez de l’utilité d’un livre. Pour reprendre ce terme si consumériste, je répondrai que mes livres sont beaux. Mes murs sont couverts de livres. C’est magnifique. Selon mes rangements et classements, mes murs ondulent de couleurs. Mes BD du Marsupulami jettent une tâche verte fluo quand mon encyclopédie domestique du 18e siècle exprime une sage sobriété. Mes bibliothèques roses et vertes amènent un dynamisme dans la pièce quand la sagesse des éditions 10/18 s’harmonise avec l’ensemble des meubles.
Je préfère largement mes livres qui ne valent rien à un tableau de maître qui en mettrait plein la vue et vaudrait une fortune, mais qu’on ne regarderait même plus à force de le voir.
Une citation d’une roman qui ne vaut rien viendra parfaitement conclure ce droit de réponse : la valeur et le coût sont deux concepts totalement différents. Tirés de Confessions d’une accro du shopping.
Je pense, Madame Régimont, que vous ne connaissez tout simplement pas de « vrais » lecteurs, les amoureux de la littérature et des livres en général. Le livre n’est certes qu’un objet à vos yeux, mais aux nôtres, un livre est un contenant magique, dont le contenu nous offre une seconde vie, bien loin des soucis matérialistes qui semblent être votre priorité.