De sas en sas – Avis +

Présentation officielle

En une brûlante journée d’été 2013, Fatma et sa fille Nora prennent la route pour la prison de Fleury-Mérogis. Sur le parking, une petite foule de visiteurs attend déjà. La porte de l’établissement s’ouvre. Une première porte, un premier sas, un premier couloir…

C’est le début d’un trajet infernal jusqu’au parloir, mené par un petit groupe d’individus composites.

Avis de Vivi

Pour son premier passage derrière la caméra, Rachida Brakni a choisi le film choral qu’elle situe dans le monde clos d’une prison, faisant cohabiter pendant 1h22 des acteurs professionnels et amateurs, mixité annonciatrice de celle que nous découvrons dans ce lieu qui accueille des gens de toutes origines, l’un des derniers bastions de la République. Un nouveau « film prison »… mais que peut-on nous dire de plus sur la vie carcérale française depuis Un condamné à mort s’est échappé (Robert Bresson, 1956), Le trou (Jacques Becker, 1960), Zonzon (Laurent Bouhnik, 1998) ou, plus récemment, Un prophète (Jacques Audiard 2009) ?

La réponse est en partie contenue dans le titre, De sas en sas : ce sont les lieux de passage, sassage et ressassage qui vont intéresser autant l’oeil que l’oreille, des espaces qui lassent et tracassent les masses qui passent… et la bonne idée du scénario est d’exacerber le sentiment d’oppression en situant l’action un jour de canicule.

La fièvre dans le sas…

Chaleur habilement annoncée dès le premier plan, proéminence d’un ventilateur qui déborde presque du cadre, format scope, celui du western. Nora et sa mère Fatma se préparent à quitter leur appartement, exiguïté d’une cuisine, puis d’un couloir, déjà, avant d’ouvrir la porte, gagner le parking de la cité et monter à bord de la voiture conduite par la mère. On se laisse alors volontiers embarquer sur la musique composée par Victor Young pour le film de Nicholas Ray Johnny Guitar (1954) sur un arrangement country électrique en mode oriental. Moment d’évasion, le paysage défile, ainsi que tout un univers graphique, celui que décrivent les fils électriques ou téléphoniques, les lignes blanches discontinues sur la route si chères à David Lynch, bref une belle invitation au voyage qui se termine sur des barres et l’aire de stationnement de Fleury-Mérogis.

Plus de musique désormais. Les visiteuses, sauf une, se connaissent et nous effectuons avec elles le parcours du combattant et surtout de la combattante qui mène du grincement de la première grille ouverte au parloir. Un seul homme, noir, Babacar, muet tout le long du film, déléguera la parole à ces femmes. De sas en sas, de fouilles en vexations, de rires en humiliations, Rachida Brakni nous fait ressentir le temps douloureux de l’attente imposée telle une double peine aux familles des détenus. Les matons matent, les fonctionnaires fonctionnent non sans mal et non sans état d’âme, une petite fille exploite toutes les possibilités de jeux offertes par les lieux et fait apparaître un compagnon de jeu, sorte d’incarnation du Peter Pan qui lui sert de jouet et obéit à sa fantaisie, tantôt joueur d’harmonica, tantôt souffleur de bulles de savon, effraction de l’onirisme et du fantastique dans la réalité de ce lieu sordide où les toilettes sont toujours sales.

La tension monte en même temps que la température, la bonbonne d’eau qui finit par arriver ne rafraîchit pas l’atmosphère. Tout un monde sonore remplit les lieux, les bruits s’amplifient, les cris des hommes, l’alarme, les tirs de sommation, les clameurs traversent les murs et propagent la violence qui va s’emparer de ces femmes, corps à corps moite sublimement chorégraphié. Genoux tuméfiés, cheveux collants et ébouriffés, gobelets écrasés, retour au calme, beau moment suspendu inspiré par la photographe Jane Evelyn Atwood, avant d’accéder enfin au parloir.

Le travelling horizontal final rend hommage à toutes ces visiteuses et à ce visiteur qui ont redonné de la vie et de l’humanité à cet endroit que les responsables politiques n’ont toujours pas rendu aimable et le spectateur les contemple une dernière fois dans la fausse intimité du parloir, face à leur proche qui n’existe que dans le hors champ. Voici venu le temps de refermer le rideau pour cette fois, fin du western sur la chanson Le Temps qui passe que Rachida Brakni, décidément sur tous les fronts, chante en compagnie de Gaëtan Roussel.

Servie par des comédiennes magnifiques dans leur engagement et leur spontanéité, Rachida Brakni prouve qu’elle maîtrise l’art de la mise en scène, rien n’étant laissé au hasard dans ce premier film. Rachida, ce De sas en sas est sensas !

Fiche Technique

Sortie : 22 février 2017

Durée : 82 minutes

Avec : Samira Brahmia, Zita Hanrot, Fabienne Babe…

Genre : drame