Entretien avec Susan Fletcher

C’est avec beaucoup de bonheur qu’Onirik a pu rencontrer la romancière anglaise Susan Fletcher, lors de sa venue en France pour le salon du livre en Poche de Saint-Maur, le weekend dernier, où elle a reçu le Prix Coup de Coeur de la Griffe Noire. Cette entrevue a eu lieu dans un café parisien, à deux pas de la maison de Victor Hugo. Merci aux éditions J’ai Lu qui a rendu cela possible, et à Susan Fletcher pour sa grande gentillesse, sa patience et son excellent français !

Onirik : Pourquoi vos romans commencent d’une manière triste, notamment La Fille de l’Irlandais et Un bûcher sous la neige… Pourquoi le lecteur est tout de suite mis dans une ambiance triste et dure ?

Susan Fletcher : Je pense, c’est peut-être… à mon avis, c’est très important, si vous commencez une histoire avec un personnage qui est triste, blessé, le voyage sera plus intéressant… Le dénouement n’en sera que plus heureux. Je sais qu’il y a de la tristesse dans tous mes livres, il n’y a pas de raison particulière pour ça, mais c’est l’idée du voyage qui est la plus importante.

J’aime la langue, la poésie, les beaux mots… Il y a des livres avec des mots qui donnent la chair de poule, c’est plus facile d’avoir cet effet quand vous écrivez sur la tristesse, mon coeur est celui d’un poète, même si je ne suis pas un très bon poète…(rires).

Onirik : Vous voulez toucher le lecteur tout de suite ? Vous y réussissez très bien…

Susan Fletcher : Oui, c’est tout à fait ça, merci…

Onirik : On sent l’importance de l’Ecosse, des Highlands…

Susan Fletcher : Oui… j’ai habité en Ecosse pendant 5 ans, au début, j’ai visité le pays pendant mes vacances, en voiture entre les montagnes, c’est extraordinaire… Dans un musée à Glencoe [[Là où se passe l’action du livre Un bûcher sous la neige]], j’ai découvert l’histoire de Corrag, c’est comme ça qu’est né mon roman.

J’ai loué une maison, j’ai cherché toutes les informations, les plus exactes possibles, j’ai marché dans les montagnes, stylo en main, j’ai écrit à même les lieux, en plein air. En particulier près d’un rocher, la vue était extraordinaire, beaucoup de descriptions étaient faites sur place. J’espère que cette expérience et ces recherches servent le roman, tout ce que Corrag a vu, je l’ai vu.

Onirik : On sent l’importance de la nature dans vos textes…

Susan Fletcher : J’adore les livres et j’ai de la chance de faire ce métier, mais j’ai conscience que la nature est plus importante que la littérature… je suis née à Birmingham, c’est très industriel, un peu laid… (rires). Mais j’ai deux grands-pères écossais et une grand-mère née en Irlande du Nord, moi je suis anglaise, maintenant j’habite à Stratford-upon-Avon, le lieu de naissance de Shakespeare, j’ai la campagne, j’ai de la chance, c’est un lieu de culture, et aussi je suis près de ma famille, mais il y a un peu de mon âme qui est restée dans les Highlands…

Onirik : L’idée de l’amour de la nature ça vous remet en question, ça relativise ?

Susan Fletcher : Oui, c’est ce que je pense, avec ma vie, c’et très facile d’oublier la nature, nous habitons dans les cités, le temps est important, mais en fait ce n’est pas si important, pour Reflet d’argent [[Son dernier roman paru chez Plon]] j’ai visité les îles écossaises très sauvages, très isolées, les gens sont toujours avec les yeux sur la mer, sur le temps, c’est plus simple peut-être, je suis attirée par ça…

Onirik : Pourquoi n’êtes vous pas restée en Ecosse dans ce cas ? pourquoi ne pas habiter dans un lieu qui vous transporte ?

Susan Fletcher : J’ai quitté l’Ecosse à cause de ma famille, mais aussi parce que même si j’adore la nature, j’avais besoin de culture, de cinémas, de musées, de librairies, de théâtres…

Maintenant je vais me poser quelques temps, j’ai du travail à faire, un roman pour les jeunes, l’histoire d’un personnage, Eponine dans Les Misérables, j’ai fait des recherches à Paris, c’est une histoire triste, encore.. Mais c’est la faute d’Hugo (rires)… Elle est malheureuse, elle n’est pas un personnage important, mais elle a un impact, une présence… ce projet se finit en octobre, après j’écris un cinquième roman…

Mais je reviendrai à Paris comme touriste, entre temps! D’habitude, je n’aime pas les villes, mais j’aime Édimbourg et Paris, pour l’Histoire, les artistes, les écrivains, pour moi c’est très intéressant…

Onirik : votre écriture est très fouillée, les mots méticuleusement choisis, il s’en dégage une certaine poésie…

Susan Fletcher : J’aime beaucoup la poésie, j’ai lu beaucoup de poésie dans ma jeunesse, j’écrivais de la poésie quand j’avais douze ans, mais très mal, c’est dramatique (rires)…

J’ai aussi une commande de poésie pour le moment, un appel à textes pour une oeuvre de charité, suite à des inondations qui ont eu lieu en Angleterre, mais je ne suis pas une vraie poète, j’ai dit oui, j’ai donc deux projets, sur Les Misérables et sur la pluie (rires)… Je suis heureuse si on trouve de la poésie dans mon travail, je lis d’ailleurs toujours à haute voix pour voir ce que ça donne…

Onirik : On pourrait même appeler ça de l’impressionnisme des mots…

Susan Fletcher : Merci beaucoup !!

Onirik : Etes-vous « premier jet » ou retravaillez-vous beaucoup vos textes ?

Susan Fletcher : Ca dépend avec Le Bûcher dans la neige, j’ai écrit la nuit, la journée je visitais le musée, le soir dans un pub avec une bière j’écrivais, ça n’a pas changé depuis le début, j’écris sans arrêter après je reviens deux, trois, quatre fois parfois, mais j’ai toujours un bloc-notes, si je suis inspirée je prends des notes pour un petit détail..
Les choses les plus intéressantes sont souvent les plus insignifiantes.

Onirik : Est-ce que vous imaginez que vous êtes vos personnages quand vous écrivez ?

Susan Fletcher : Je pense je suis intéressée par les personnages de femmes fortes, indépendantes, celles qui ont des problèmes, de la tristesse, mais qui se battent… J’ai lu des histoires de femmes extraordinaires qui souffrent et gardent le sourire, les femmes étaient dominées dans cette époque [[Dans un bûcher sous la neige qui se passe au 17e siècle]], les hommes avaient le pouvoir…

Corrag, elle est forte, compliquée, mais fragile aussi, elle a du talent, c’est plus facile d’avoir peur de quelqu’un qui est différent, que de la comprendre…J’aime beaucoup les gens différents.

Onirik : Il y a un message dans vos livres ?

Susan Fletcher : Dans un bûcher sous la neige, le message c’est que les femmes qui étaient accusées de sorcellerie, n’avaient pas la parole, je voudrais être leur voix, leur rendre justice. Corrag est si sage, elle est la voix de toutes les femmes qui ont souffert…

Onirik : A ce sujet, avez-vous des héroïnes femmes, des combats de femmes, que vous admirez ?

Susan Fletcher : (rires) Ouh quelle question ! Pas vraiment les femmes célèbres, mais celles du quotidien, celles qui souffrent, qui sont malades, il y a beaucoup d’exemples, ce ne sont pas les femmes connues qui m’inspirent le plus, mais la femme du quotidien.

Onirik : Quel sera le sujet de votre prochain livre ?

Susan Fletcher : J’ai quelques idées, je suis compliquée (rires)… Mon père est né en Jamaïque, mon grand père aussi, son père à lui était écossais, mais atteint de tuberculose, il avait besoin de soleil, alors il est parti là-bas… C’est pour moi, très exotique, c’est le lieu de naissance de ma famille, c’est peut-être le sujet de mon prochain
roman, qui sera un challenge ! Le paysage est très différent !

En fait, j’ai des idées, j’aime les peintures de Van Gogh aussi, sa vie est très triste, ça m’inspire…, j’aime aussi les cirques itinérants, j’ai plein plein d’idées !

Onirik : On pense parfois à Daphné du Maurier, en vous lisant…

Susan Fletcher : Oui oui ! j’avais lu L’auberge de la Jamaïque à 15 ans, c’était romantique, fantastique, je me souviens de l’effet de ce livre sur moi… Merci pour ces remarques, je pense toujours que personne ne lit mes livres, mais quand je rencontre mes lecteurs c’est juste fantastique, c’est un cadeau magnifique !

Onirik : Merci beaucoup à vous Susan Fletcher !