Evolution des minorités dans le cinéma américain

En marge de l’exposition De Superman au chat du rabbin, il est intéressant de tenter de décrypter quelques films américains pour tenter de faire ressortir la place exacte et l’impact provoquée par l’immigration massive de juifs ashkénazes au tout début du 20e siècle, sur la société américaine… et aussi les messages subliminaux que peuvent essayer de faire passer plus ou moins consciemment une minorité, lorsqu’ils ont entre les mains un moyen de communication planétaire.

Même si cela semble très grandiloquent, alarmant, et que cela fait l’objet depuis de longues années d’arguments antisémites (ahhhhhh le lobby juif que l’on met à toutes les sauces !) c’est surtout follement amusant ! Quel plaisir de voir ou revoir des films avec ce prisme, nous trouvons alors de quoi nous régaler !

Pour ce premier article, autant assener quelques vérités historiques et sociologiques :

– 1880 – 1920 : arrivée des Juifs russes et polonais chassés par les pogroms, soit près de deux millions de personnes… fuyant une politique antisémite qui se généralise peu à peu en Europe. Brooklyn [[quartier de New York]] devient un ghetto. Avant eux, surtout à partir de 1860, d’autres vagues de population avaient débarqué s’intégrant aux protestants d’origine anglaise, des Irlandais, des Allemands, des Italiens…

– 1913 : Cecil B. de Mille (se présentant comme chrétien, mais fils d’une Juive séfarade et fier de cet héritage) vient à Los Angeles, pour un tournage. Séduit par la possibilité de tourner en extérieurs toute l’année, et du prix modique des terrains, quelques producteurs (tous d’origine juive) vont créer la fameuse usine à rêves : Hollywood. Nous reviendrons plus tard sur les studios et la politique menée par des hommes traumatisés d’être pourchassés, d’avoir tout perdu et qui voient dans cette Amérique en pleine mutation économique, la terre promise. Ils n’ont qu’un but : s’intégrer, oublier leur religion cause de leur malheur, et n’ont qu’une envie, créer à l’aide de leurs films, le fameux american dream destiné au Wasp (white anglo-saxon protestant). Les noms des acteurs sont changés, le mot ‘juif’ ne sera jamais prononcé, et ce, pendant de longues années. En créant à l’autre bout des États-Unis cet Eldorado consacré au cinéma, on espère faire oublier New York et surtout Brooklyn et le théâtre et les spectacles musicaux imprégnés de culture yiddish. Triomphent certaines stars du muet comme Theda Bara (Theodosia Burr Goodman). Seuls les scénaristes, réalisateurs, compositeurs et producteurs garderont pour la plupart, leur nom.

– 1927 : premier film parlant : Le chanteur de jazz, avec Al Jolson (Asa Yoelson), raconte l’histoire d’un fils de rabbin renié par son père car il refuse de suivre les traditions religieuses en souhaitant devenir chanteur populaire. Le pavé est une bonne fois pour toute lancé dans la mare. Il faut laisser le passé derrière soi, un être nouveau pour une terre nouvelle ! On ne parlera plus des racines juives. Mais comme dans toute censure, certains à leurs petits ou grands niveaux de la hiérarchie tentent (et réussissent) de détourner la difficulté, comme les Marx Brothers ou le très grand comique Jack Benny (Benjamin Kubelsky) héros du film To be or not to be et bien évidemment Charlie Chaplin, agnostique, qui laissa toujours planer un doute quant à ses origines. Marié à Paulette Goddard (Pauline Marion Levy) il en fit l’héroïne de son plus célèbre pamphlet contre Hitler : Le dictateur en 1940. Notons que la plus célèbre des actrices juives de théâtre, Fanny Brice (Fania Borach), pour ses incursions au cinéma est transformée en bonne à tout faire russe… Personne n’aurait pu faire avouer à Paul Muni (Mehsilem Meier Weisenfreund) un des plus grands acteurs des années 30, héros de Scarface, qu’il était Juif, il en est de même pour un des jeunes premiers les plus populaires de cette décennie : Melvyn Douglas (Melvyn Edouard Hesselberg).

– 1945 : la réalité des camps de concentration provoque une sorte de prise de conscience vertueuse du peuple américain. Sous une avalanche de films de guerre à la gloire du camp vainqueur, on trouve enfin la première œuvre où le mot ‘antisémitisme’ doit être prononcé quatre fois : Feux croisés d’Edward Dmytryk avec Robert Mitchum et Robert Ryan. La judéité pénètre par la petite porte dans le cinéma américain et cette prise de conscience aboutira au très bon Le mur invisible d’Elia Kazan, avec Gregory Peck. Ces deux films sortent la même année, soit en 1947, et il est temps de passer à autre chose.

– 1950 : La télévision fait son apparition, et le cinéma américain doit trouver d’autres façons spectaculaires pour garder ses spectateurs. C’est la guerre froide : le Russe devient le méchant, et qui dit communiste aux États-Unis, dit… Juif. Les stéréotypes pleuvent… Qui pourrait deviner alors que Edward G. Robinson (Emmanuel Goldenberg) est Juif, ou Kirk Douglas (Issur Danielovitch Demsky), Tony Curtis (Bernard Schwartz), Karl Malden (Malden George Sekulovich), Danny Kaye (David Daniel Kaminski)… Même un réalisateur aussi engagé que Richard Brooks (Ruben Sax) n’utilise pas son vrai nom.

Le voyou est le mafioso italien, le policier est Irlandais, les héros en cette fin de décennie sont Marlon Brando, James Dean, Paul Newman, Steve McQueen, bientôt suivis par Robert Redford, George Peppard. Les femmes sont très blondes ou rousses flamboyantes et certaines brunes gomment leurs origines… comme Lauren Bacall (Betty Joan Perske) suivie de quelques blondes telle Caroll Baker (Karolina Piekarski) qui fit scandale dans le très controversé Baby doll. Et arrivent alors les meilleurs amis des jeunes premiers… les petits binoclards amusants, intelligents, affûtés et malicieux, qui parlent avec un petit accent indéfinissable typés New York (ainsi l’acteur Phil Silvers, un spécialiste dans le genre) ou encore Jerry Lewis (Joseph Levitch), le faire-valoir du duo qu’il forme avec Dean Martin. L’ami juif vient de faire son apparition ! Les stars en profitent pour se convertir au judaïsme : Sammy Davis Jr, Marilyn Monroe ou encore Elizabeth Taylor…

– 1960 : l’ami juif est remplacé par l’ami noir… la ségrégation et les émeutes dans le sud des États-Unis provoquent une nouvelle prise de conscience hollywoodienne. L’ami juif devient le héros juif… Habitué aux second rôle, Walter Matthau (Walter John Matthow ou Matuschanskayasky) accède au premier plan avec Drôle de couple. Dustin Hoffman explose au cinéma avec Le lauréat. Certains acteurs en cette fin de décennie débutent et gardent leur vrais noms, comme Alan Arkin (Catch 22, pour ceux qui ignoreraient qui il est, il a reçu l’Oscar du meilleur second rôle en 2007 pour Little Miss Sunshine), mais aussi James Caan, ou Harvey Keitel.

– 1970 : alors que le Juif prend l’image d’un binoclard nombriliste, intellectuel névrosé en la personne de Woody Allen, les couples de héros se forment… au cinéma Dustin Hoffmann et Robert Redford dans Les hommes du Président qui dénoncent le scandale du Watergate, le héros juif avance à tous petits pas pour devenir le sauveur de l’Amérique. A la télévision, le plus célèbre des lieutenants de police, Colombo, a un nom bien italien pour un Juif (Peter Falk). Voici Starsky et Hutch… le Juif est toujours aussi rigolo, toujours aussi intelligent, toujours aussi débrouillard, toujours vainqueur, le plus c’est qu’il retrouve sa religion et ses traditions… L’ami noir, lui également ne cherche plus à s’intégrer mais revendique haut et fort ses droits, il nous la joue cool (Huggy bien évidemment)… et secrétaire de Mannix, voici l’ami noir promu capitaine de Starsky et Hutch ! Les actrices juives débordent de personnalité, tout aussi stéréotypées qu’auparavant, sauf que cela explose au grand jour : Barbra Streisand, Bette Midler… alors qu’apparaît un regard critique (enfin !) en la personne de Richard Dreyfuss, qui, dans L’apprentissage de Duddy Kravitz, interprète un Juif arriviste au parcours controversé.

– 1980 : l’ami noir est prêt à laisser sa place à l’ami gay. Alors, de nouveau, l’homme homosexuel (parce que les amies lesbiennes on les compte sur les doigts de la main) devenu le rigolo de service, avec tous les clichés qui lui collent à la peau : superficiel, caractériel, souvent ridicule et instable (faut pas pousser tout de même, on ne peut pas compter sur lui). Le Juif lui est donneur de leçon… de société (Kramer vs Kramer) mais aussi de tolérance … avec le droit à la différence bien évidemment, les messages sont plus ou moins subliminaux (Les aventuriers de l’arche perdue, E.T. de Steven Spielberg ou Elephant man produit par Mel Brooks…) : « Acceptez-nous, certes, nous sommes plus intelligents, plus doués et différents, mais nous aussi, nous sommes émouvants !« . Les actrices juives ressemblent à Madame tout le monde que ce soit Debra Winger ou Rosanna Arquette. Quant aux séries américaines alors très en retard, elles sont axées sur les batailles gagnées dans les années 70 : la place de la femme dans la société, unissons-nous contre le danger (Ah ! Ces envahisseurs de l’espace, et autres batailles galactiques…). Mais voici que l’on parle aussi de New York avec la série Taxi (issue du Saturday Night Live). Le chauffeur de taxi new-yorkais est Juif, typé, il a l’accent de Brooklyn (Jude Hirsh), son patron est un italien mégalo (Danny de Vito) mais l’ovni intéressant de cette série est Andy Kaufman, le fameux comique juif américain qui malheureusement mourut prématurément. Il interprète un étranger totalement allumé, témoin de l’impossibilité de s’intégrer dans cette société américaine, mais qui se montre si attachant, qu’on l’adopterait tous avec enthousiasme. A noter qu’un épisode de La petite maison dans la prairie soulèvera la problématique d’avoir un voisin juif, et qu’une des héroïnes se mariera avec un Juif, luttant pour le faire accepter envers et contre tous. Tolérance, je vous dis !

– 1990 : l’ami gay… est plombé par le spectre du sida. Il laisse la place aux autres minorités : l’ami latino, l’ami viet… et chouette, après nous avoir prouvé par A + B, que le Juif est le meilleur… il est gentil, il va enfin sauver le monde. Independance Day est l’exemple parfait. Si le président des Etats-Unis, à l’aide de ses petits bras musclés, tire sur les méchants envahisseurs venus de l’espace, le Black de service, notre ami Will Smith, est un sous-fifre. On ne lui demande pas de réfléchir, mais de dégommer les petits hommes verts. Mais qui trouve comment se débarrasser des envahisseurs ? Qui ? Et bien Jeff Goldblum, en scientifique de génie, aidé par son papa Jude Hirsh de Taxi. Nous sommes en pleine repentance… Un petit coup de Liste de Schindler pour donner bonne conscience à tout le monde, d’un côté, il montre que oui, pas de négationnisme hein !, il y a eu des camps de concentration. Et de l’autre côté, c’est : bon, c’est arrivé qu’on les aide, les pauvres ! Des réalisateurs officiellement Juifs comme les frères Coen ou Steven Soderbergh s’amusent de tous ces clichés… La grande série des années 1990 est Seinfeld, Juif nombriliste new-yorkais qui réussit la gageure d’être vue non seulement dans les grandes villes, mais aussi dans le Middle West, là ou Woody Allen avait échoué. Qui est Juive et qui triomphe dans sa série en plaçant toutes les trois phrases un mot en yiddish en accentuant ses intonations de Flushing, quartier de Queens ? Fran Dresher, bien évidemment, La nounou d’enfer. Deux des acteurs de Friends interprètent des personnages juifs, le héros créateur et interprète de Dingue de toi, Paul Reiser joue également avec sa propre personnalité, tout comme le lieutenant Sipowitz de New-York Police Blues, incarné avec force et sincérité par Dennis Franz… La tolérance a tout de même des limites : lorsque Ellen de Generes, créatrice et personnage principal de sa série Ellen, va faire son réel coming out dans un des épisodes, le scandale sera tel que l’audience s’effondrera et la série s’arrêtera.

– 2000 : le 11 septembre va passer par là… la tolérance devient tolérance zéro. Le méchant Allemand, devenu le méchant Russe, devient le méchant Arabe. Tous les Américains doivent s’unir face à l’adversité, soit les méchants Arabes, mais aussi les méchants qui ne sont pas d’accord avec eux, et donc les Canadiens, les Allemands et surtout les Français [[pas besoin d’être parano pour remarquer que pas une série américaine ne nous épargnera à un moment ou à un autre]]. Gommons les différences ! Le héros juif est toujours là, incarné par Ben Stiller ou Adam Sandler, il faut bien se détendre dans cette période difficile. Ainsi Mon beau-père et moi rit avec nous de nos différences… la fameuse paranoïa juive. Revoici Spider-man, vous savez, celui créé de longues années auparavant par Stan Lee (Stanley Martin Lieber) traumatisé par les pogroms, qui luttera contre les forces du mal [[bon, ce ne sont plus les méchants cosaques, de quoi se plaint-on !]].

Qu’est devenu l’ami ??? Qui a pris la place de l’asiatique et du mexicano-colombano ? Qui joue le rigolo de service, toujours prêt à rendre service… Regardez Lost, Malcolm… Oui… vous avez compris : l’ami-obèse ! Bon nous sommes en 2007, tout peut encore évoluer n’est-ce pas ?