Faut-il supprimer l’accouchement sous X ? – Avis -, +/- et +

Présentation de l’éditeur

Sophie, 39 ans: « C’était mon bébé. Ces deux petits cris résonnent encore dans ma tête aujourd’hui. Ils l’ont posé sur le bas de mon ventre. Je ne voyais que le haut de sa tête. Toute ma vie, je regretterai de n ‘avoir pas pu croiser son regard à ce moment-là, de n ‘avoir pas pu le nommer. C’est un déchirement qu’on ne peut pas expliquer. »

Chantal, 51 ans: « Il y avait toujours en moi ce gouffre ouvert, cette blessure narcissique. Je n’avais pas de racines. Aujourd’hui, je sais d’où je viens, qui je suis. Et ce n ‘est pas grave si ma mère de naissance ne veut pas nouer de lien avec moi. »

On les appelle les mères d’origine, les mères de naissance, ou encore les mères biologiques. Elles-mêmes se surnomment les « mères de l’ombre ». Aujourd’hui encore, malgré la pilule, malgré l’avortement, environ 400 femmes accouchent chaque année sous X. On estime à 400000 le nombre de personnes ainsi « nées sous X ». La France est, avec le Luxembourg, le seul pays à permettre aux femmes d’accoucher anonymement et à leur garantir cet anonymat à vie.

Depuis 2002 cependant, les nés sous X peuvent, par l’intermédiaire du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), retrouver leurs parents. Mais, dans 60 % des cas, la mère refuse de rencontrer son enfant. Et le secret s’installe pour toujours… Le récit, parfois tragique, des retrouvailles des nés sous X avec leurs parents a ému l’opinion. Les psychologues soulignent l’impérieuse nécessité de connaître son histoire. Les parents adoptifs, désarmés face au mal-être de leur enfant, plaident pour une meilleure connaissance des origines. Mais, alors que les affaires d’infanticide se succèdent, d’aucuns redoutent qu’une suppression de l’accouchement sous X n’entraîne une augmentation des accouchements sauvages.

Avis de Eric

Voici un livre de circonstance dont l’objectif est d’amender la Loi ‘Royal’ de janvier 2002, afin de permettre aux personnes nées sous X d’accéder à l’âge adulte à leurs origines et de rencontrer leur mère ; et inversement de permettre à la génitrice de rencontrer l’enfant qu’elle a mis au monde. En tant que lecteur sans idée préconçue, l’on reste sur sa faim.

En premier lieu, avant que d’être décevant, ce texte est horripilant par son imprégnation d’un vocabulaire et de tics langagiers psychologisants et stupides. L’auteur parle de mère/père ‘biologique’ quand existe les mots justes de géniteur et génitrice…

De même relaye-t-elle sans broncher les propos d’une pédopsychiatre qui justifie que les mères accouchant sous X puissent porter, regarder et caresser leur bébé à l’instant de la naissance sur leur ventre [fort bien !] par la nécessité qu’elles fassent leur deuil de cet enfant (page 21). Mais ces nouveau-nés ne sont pas des morts et il n’y a donc aucun deuil à faire ! (Et si deuil il devait y avoir, comment justifier par la suite qu’elles veuillent des années plus tard retrouver cet enfant… dont elles auraient ‘fait leur deuil’ ?). Ce renversement des choses et du sens des mots est odieux et symboliquement criminel : les Psy de tous poils prétendent que l’enfant, même nourrisson, comprend et sent tout, et qu’il faut donc lui parler ; que doit donc ressentir un enfant dont les ‘professionnels’ qui l’entourent considèrent qu’il est l’objet d’un deuil !

Passons sur certaines citations qui relèvent du charabia quasi vaudou (page 72) : « Quand ces fractures du lien affectif n’ont pu être parlées, elles forment comme un abcès psychique… ». Et que dire de « …la production graphique d’un enfant…» pour désigner ses dessins !

A ne pas maîtriser la langue et le sens des mots, il n’est pas étonnant que l’auteur puisse d’une part reprendre (page 20) que « …leur décision [d’abandonner l’enfant] n’a que rarement été réfléchie » et d’autre part seulement deux pages plus loin reprendre la thèse inverse « A partir du moment où ces femmes ont mûrement fait le choix de l’abandon…».

En second lieu, les arguments que Nathalie Perrier présente à l’appui de ses thèses sont faibles alors même, encore une fois, qu’un lecteur sans a priori est disposé à les recevoir de façon bienveillante.

Ainsi estimer à 400.000 personnes (l’auteur dit enfants) ceux qui ont vu le jour sous X, quand en regard l’on considère 3.600 personnes parmi elles qui cherchent activement leurs origines, devrait en bonne rigueur amener l’écrivain à rechercher pourquoi donc plus de 99 % de cette population ne cherche pas.

Les innombrables violences, décrites dans le livre, qui sont faites par les assistantes, sages-femmes, puéricultrices et autres psys de tous poils à l’encontre des mères accouchant sous X auraient dû amener l’auteur à tout le moins suspecter là quelques solides raisons de ces mères à ne pas vouloir se laisser rattraper par leur passé. Mais non, rien, pas un mot.

Par ailleurs, les couples adoptants sont, semble-t-il d’après ce livre, parfois hautement réticents à laisser leur enfant adopté à accéder aux informations de son origine génétique. Encore une fois, et sans idée préconçue, le lecteur ne peut pas se satisfaire d’un témoignage d’un seul adopté (et d’aucun couple), fût-il bouleversant, pour faire pièce aux positions des couples adoptants.

En troisième lieu, nombre de questions éminemment intéressantes ou embarrassantes ne sont qu’effleurées. Ainsi (page 115) : « La mère n’abandonne pas son enfant, elle le confie à une famille adoptée. Quoi qu’il en soit, il y a là la source d’une souffrance.» Il est malhonnête de balayer d’un revers de ‘quoi qu’il en soit’ une telle affirmation, d’autant plus qu’elle émane d’une personne qui est à la fois pédopsychiatre et adoptante. Tiens donc !

Autre question survolée, pourtant exprimée par une femme qui fut abandonnée : « Ce n’est pas l’amour d’une mère que je cherchais –j’ai déjà des parents qui m’aiment- mais mon histoire.» (page 121). Aucune analyse sérieuse n’entoure cette déclaration qui pourtant s’était exprimée de façon conceptuelle limpide quelques pages plus haut (page 103) : « … les questions d’où je viens, où vais-je, sont propres à l’être humain. Mais ces crises sont particulièrement difficiles à vivre pour les nés sous X, car ils sont incapables de répondre à la première des questions…. » Bref, la rédactrice a superbement manqué l’occasion de nous montrer en quoi cette quête des origines et de la génitrice repose sur un besoin universel en chacun, quand bien même aurait-il chez tel ou tel un objet radicalement différent.

Enfin trois questions ne sont pas traitées.

Tout d’abord, on parle donc d’enfant né sous X, jamais sous Y. Or, dit-on, les enfants se font à deux. Les partisans et adversaires ici campés n’en disent mot, pas même les professionnels de la chose psy. Tout un chacun cautionne implicitement que la place, même symbolique, du père est une chose sans intérêt. Qu’en pensent les adeptes du Docteur Freud ? Pourquoi d’ailleurs les enfants nés sous X cherchent-ils leur génitrice de préférence à leur géniteur ?

Ensuite, (page 124) est soulevé par inadvertance un fait bien singulier : « L’enfant… on lui aura changé son origine, il sera devenu comme un produit manufacturé offert à l’échange des biens de consommation. La pire des maltraitances est là qui change un enfant en objet d’usage. » Il aurait été salutaire pour la propre cause de le la signataire de l’ouvrage de montrer que cette marchandisation de l’enfant et la rupture dans sa lignée ascendante est à l’œuvre aussi dans la revendication de l’homoparentalité.

Enfin, nulle part n’est abordée la question de l’intimité impossible des vies au cours de ces processus tant d’accouchement sous X que d’adoption. Réfléchissons pourtant que tout un chacun, ordinairement, décide souverainement tant de sa reproduction que de la façon dont il se reconnaît à l’âge adulte dans ses ascendants. Ici, Nathalie Perrier nous a donné une leçon intéressante, riche cependant d’aucun enseignement.

Avis d’Enora

Belle hypocrisie que ce titre qui laisse espérer une certaine impartialité concernant une question des plus sensibles dans notre société actuelle et qui n’est en définitive que le développement de ce que l’auteur considère comme une assertion. Au long de ces pages, elle nous explique en fait pourquoi il faut supprimer l’accouchement sous X, une loi qui bafoue selon elle, non seulement les droits de l’enfant à connaitre ses origines mais également celui des femmes, puisqu’il provoque chez elles, une souffrance dont elles ne se départissent jamais. Cette façon de prendre le débat à l’envers renvoie quelque part à certains discours détracteurs que l’on entend sur l’IVG : or, ce n’est pas l’IVG qui fait problème mais la grossesse non désirée, l’IVG étant une des solutions de ce problème, de même ici, l’accouchement sous X est généralement la conséquence d’une souffrance antérieure qui s’aiguise avec une grossesse et non la cause de cette douleur.

Le reproche que l’on peut faire à Nathalie Perrier est de n’avoir pas respecté le plan thèse/antithèse/synthèse que l’on enseigne depuis le lycée. Son argumentation manque d’équilibre et d’objectivité, elle privilégie trop nettement les avantages à reformer la loi au détriment des inconvénients qui vont en résulter.

Ainsi elle n’hésite pas à dire que la France déroge à la convention internationale des droits de l’enfant qui proclame « le droit de connaitre ses parents » , or le texte complet de cet article 7 est celui-ci « 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux. ». Une petite omission, celle de l’expression dans la mesure du possible, qui change beaucoup de choses !

Semblant détruire les préjugés et toutes les représentations fantasmatiques qui entourent ces femmes, elle cite la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval « ces mères correspondent à peu de chose prés au tableau de Madame-tout-le-monde qui accouche en France » en balançant tout de suite après une petite phrase « a » qui renvoient ces femmes à leur stigmatisation (puisque ce sont celles là, quand même, que l’on accuse d’être potentiellement capables de maltraitances ou d’infanticides). Ce qu’elle confirme dans sa conclusion en faveur de la proposition de loi de Valérie Précesse qui présente l’avantage, je la cite, de replacer ces mères devant leurs responsabilités.

De même, les nombreux témoignages qu’elles recueillent sont ceux de femmes qui souffrent et regrettent ainsi que ceux d’enfants qui recherchent leurs origines. Pourquoi ne pas avoir donné la parole à celles qui ont réussi à se construire et aux enfants qui ne souhaitent absolument pas connaitre leur mère biologique et ils sont un nombre certain, comme en témoignent les messages sur les forums. C’est un peu comme si on recueillait les témoignages de conjoints divorcés en souffrance ainsi que ceux d’enfants en difficultés scolaires et affectives à la suite de la séparation de leurs parents et qu’on s’en serve pour dire que la loi permettant le divorce crée tellement de souffrances qu’il faut la supprimer.

Pourquoi tant de passion autour de ce sujet parce qu’il tourne, à mon avis, autour de quelque chose qui n’est pas entendable et qui de plus renvoie chacun à sa propre enfance et à son propre inconscient : Comment ? L’amour maternel n’est pas inné, total et plein de bonheur ? Comment, il peut exister de l’ambivalence dans les sentiments humains?

L’opinion de Nathalie Perrier est éminemment respectable, mais son livre n’est pas, comme le laissait promettre le titre, une analyse impartiale de cette loi. De plus comme le soulignait Miss, il y a de nombreuses lacunes, notamment sur les pères et sur d’autres techniques dans la procréation médicalement assistée qui créent aussi des vides sur la filiation.

Avis de Miss

Voici un ouvrage écrit dans un style journalistique, et qui est donc accessible à tous. L’auteur a le mérite de porter à jour un sujet peu connu, l’accouchement sous X concerne 400 femmes par an et n’existe qu’en France et au Luxembourg. Ce livre est très complet et combine deux approches : des témoignages de mères et d’enfants et un éclairage historique et politique de la législation. À la lumière de ces témoignages, aussi diversifiés qu’ils puissent être, une seule chose ressort : le mal être des enfants ne connaissant pas leurs origines et celui des mères qui n’ont pu oublier le choix qu’elles ont fait. C’est donc un livre très instructif et chargé d’émotions qui permet au lecteur de se forger sa propre opinion, l’auteur restant très neutre par rapport à une éventuelle position pour ou contre l’accouchement sous X.

Finalement, après lecture, l’enjeu n’est pas vraiment de répondre à la question « faut-il supprimer l’accouchement sous x ? » car le panorama des avancées politiques et sociales, exposés sur ce sujet, laisse présager une évolution vers la suppression de l’accouchement sous X pour les années à venir.

En substance, il y a plusieurs débats de fond :
– Comment l’Etat peut-il cautionner le mal être de ces enfants (un mal être aujourd’hui connu) en continuant à autoriser l’accouchement sous X ?
– Certains évoquent le droit des femmes de décider ou pas d’élever un enfant. À cela, il est possible de rétorquer que la contraception et l’avortement sont là pour répondre à ce droit des femmes. Mais qu’au-delà de ces droits, il y a la question de la responsabilité individuelle des actes que l’on commet et des conséquences qu’ils peuvent engendrer. Donner la vie n’est pas un acte anodin : il paraît peut probable de ne pas pouvoir anticiper cet événement et ensuite de ranger cet événement dans un coin de sa mémoire, en cherchant à l’oublier. Une alternative permettant aux femmes de confier à l’adoption leur nouveau-né en renonçant à tous lien juridique avec ce dernier, mais les obligeant à livrer leur identité et leurs antécédents médicaux leur permettraient de choisir de ne pas garder l’enfant et en même temps d’assumer leur acte.
– Où sont les pères ? Un seul témoignage fait référence à un papa qui ne cautionne pas le choix de l’accouchement sous X de sa compagne. Pourquoi ces enfants nés sous X parlent-ils toujours de leur mère et pratiquement jamais du père ? Les pères ne sont-ils pas aussi responsables de ce « vide » qu’il y a chez ces enfants nés sous X que les mères ? Comment se fait-il que les pères n’aient pas encore la même considération que les mères dans la procréation et l’éducation des enfants ?
– À l’heure où des femmes ont recours à l’insémination artificielle pour avoir un enfant, il faut se demander comment le droit de connaître ses origines pourra s’appliquer à ces enfants-là ?

Un essai à lire très vite : c’est un mélange de récits biographiques, d’histoires humaines et de débats sociologiques.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 220
Editeur : Editions du Rocher
Collection : Document
Sortie : 16 octobre 2008
Prix : 18 €