Interview de Amélie Nothomb

Onirik : Comment le roman Pétronille est-il apparu ?

Amélie Nothomb : Le grand sujet du livre c’est l’amitié, l’amitié entre femmes qui bizarrement est un peu le parent pauvre de la littérature. Si on lit le livre des grands auteurs on croirait que ça n’existe pas de vraies amies. Mais ça existe vraiment l’amitié, la solidarité. Aussi voulant donner un exemple, je me suis inspirée d’une véritable amie, la romancière Stéphanie Hochet et cela a donné Pétronille.

Je ne l’ai pas fait dans son dos. On ne fait pas une chose pareille dans le dos de quelqu’un. Elle m’a donné son accord quand je lui ai apporté le livre bien avant de l’apporter à l’éditeur. Elle était assez stupéfaite. Globalement elle était contente. Son jugement final a été : « Pour une fois que tu parles d’un sujet important, tu obtiens un excellent résultat« .

Onirik : À la lecture du roman on se rend compte que Pétronille possède une personnalité assez différente de celle d’Amélie Nothomb.

Amélie Nothomb : Je suis folle. Je veux bien le croire puisque tout le monde le dit. Mais ce qui est certain c’est que je n’ai pas la même manière d’être folle que Stéphanie Hochet qui a une façon très française d’être folle. En particulier, elle a une façon très à gauche d’être folle.

Venant d’un milieu d’extrême-gauche, elle a intégré tout une sorte d’attitude que je tiens pour stupéfiante. Dès qu’elle est en colère et dès qu’elle a bu elle trouve que tout est « précarisant », un mot que je n’avais jamais entendu. «Oui c’est une question « précarisante !« . Quand elle a bu, elle parle comme un membre de la CGT.

J’adore que le champagne nous mène à la politique.

Quand on a on a bu, ce qui est formidable, c’est qu’on se lâche et qu’ainsi apparaissent les grandes passions et dans le cas des grandes passions c’est la politique qui domine. Stéphanie vient d’un milieu d’extrême-gauche et c’est vrai que ces gens-là quand ils viennent à parler politique c’est très sérieux.

La scène de choix concerne la rencontre entre Pétronille et mes parents (des gens charmants). Quand j’ai senti que Pétronille voulait rencontrer mes parents, j’ai eu très peur. Est-ce que je pouvais exposer mes parents à un tel danger ? J’ai réfléchi : mon père a été otage en Afrique, il s’en sortirait avec Pétronille, et ils s’en sont sortis !

Onirik : Mais vous avez en commun le fait d’être toutes les deux des écrivains.

Amélie Nothomb : Ce que je souhaite le plus au monde c’est d’avoir des amis écrivains. C’est terriblement difficile. Il y a toujours ce que l’ami écrivain nous dit et ce qu’il ne ne dit pas.

J’ai été d’une extrême honnêteté. J’ai appelé Stéphanie au téléphone : « Dis moi tout le mal que tu penses de moi« . Alors j’écrivais sous sa dictée tout ce qu’elle disait. C’est d’une honnêteté vigoureuse.

Je suis un écrivain pour qui les choses ont bien tourné. Je comprends qu’on veuille être écrivain. Beaucoup de gens, entre autres Pétronille, sont devenus écrivains à cause de moi et ils se retrouvent parfois dans des galères sérieuses. En même temps c’est quand même le plus beau métier du monde. Ils le remarquent et en même temps comme disait Pétronille c’est très précarisant et ça crée quand même des sentiments, des non-dits qui ne sont pas facile.

Pétronille et moi on est vraiment amies et en même temps je sens toujours que dans l’amitié que Stéphanie a pour moi il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Elle ne comprend pas pourquoi si ça a bien tourné pour moi, pourquoi cela n’a pas aussi bien tourné pour elle et c’est évidemment totalement injuste. C’est une loterie.

On ne sait pas pourquoi cela marche bien pour certains écrivains et pourquoi cela marche moins bien pour d’autres. Ce n’est pas une question de foi ou d’énergie. Elle investit au moins autant d’énergie que moi. Elle a des éditeurs et elle est estimée. Mais pour elle vivre de sa plume c’est tout une histoire. 1% des écrivains vivent de leur plume, c’est très peu.

Elle appartient à un milieu de gauche. Ces parents sont des gens tout à fait bien, mais ne comprennent pas ce qu’elle fait quand elle dit qu’elle écrit des livres. Ses parents ne la jugent pas, mais ne la comprennent pas. J’imagine que cela serait très dur de ne pas être suivie par ses parents.

J’ai des parents merveilleux. J’ai conscience que c’est un très grand avantage dans la vie. C’est pour cela que je l’identifie dans le livre à Christopher Marlowe : l’écrivain au couteau à cran d’arrêt. Elle est tout à fait comme ça. Il y a une violence en elle qui est à mon avis naît non seulement de son milieu, mais de l’incompréhension, du rejet de son propre milieu, alors qu’elle soutient les valeurs de ce milieu et que son propre milieu la rejette.

Si je compare mon destin au sien je suis très sage. Je ne prends que du champagne ce qui comme médicament est très assumable. Je ne traverse pas le Sahara. Souvent je lui dis : « Tes livres sont formidables, mais ils ne sont pas aimables. Tu racontes des histoires abominables ». Elle me répond : « Tu as vu les tiens ? » . C’est vrai : elle a raison.

Elle s’applique aussi à paraître normale. Dans le livre, j’ai signalé tout ce qu’elle avait de sauvage. Pour moi c’est un animal sauvage et j’aime montrer qu’elle est aussi ça. J’avais très peur qu’elle renâcle en lisant le livre. Mais finalement la seule chose qui l’a fait hurler c’est la scène du pipi dans la rue : la scène typique. Je lui ai garanti que je me souvenais parfaitement : ce n’était pas si grave.

Onirik : Quelles ont été les conséquences de la parution du livre Pétronille ?

Amélie Nothomb : J’avais peur. Mais notre amitié tient le coup. Cela fait 17 ans que je la connais. On est passé par tous les stades. On s’est engueulé 18 000 fois. C’est une amitié qui dure.

Quand l’identité de Pétronille a été révélée évidemment tous les journalistes et les plus grands ont couru au devant de Stéphanie Hochet l’héroïne et elle les a engueulés : « Quand moi je publie un livre il n’y a personne ! Vous ne venez jamais m’interviewer ! C’est intolérant et bien vous attendrez que je publie un nouveau livre et vous viendrez !« . Ils sont partis.

C’est paradoxal. Elle proteste qu’on ne l’interviewe pas et dès qu’on l’interviewe elle engueule les gens. C’est le paradoxe de Pétronille. C’est quelqu’un d’impulsif, mais elle me fascine. C’est une créature sauvage.

J’aimerais écrire un Pétronille2, ne serait-ce que pour raconter toutes les réactions de Pétronille aux journalistes.

Onirik : Pétronille 1 mentionne également une certaine Vivienne Westwood.

Amélie Nothomb : J’ai été étrillée et insultée par Vivienne Westwood. À l’époque j’étais bien loin de me douter que j’oserais raconter cela. Quand cela nous arrive on ressent de la honte. La plus grande styliste anglaise m’insulte : je dois vraiment être une moins que rien et puis finalement les années sont passées. Il n’y a pas eu de représailles.

Je suis une moins que rien, mais je suis toujours là. Je raconte cette histoire car ce n’est pas parce que vous êtes un écrivain pour qui les choses vont plutôt bien que vous n’allez pas être reçu comme un chien par une styliste anglaise.

Onirik : Ce livre révèle également votre passion pour le champagne.

Amélie Nothomb : J’aime que quand on me reçoit on sache comment me servir. Il n’y a pas plus susceptible qu’une maison de champagne. Celles que je cite m’envoient des lettres d’amour. Celles que je ne mentionne pas font des commentaires du genre : « Je remarque que vous ne m’avez pas cité ». C’est extrêmement délicat.

Les champagnes prennent une place prépondérante dans les livres. Mais c’est normal. Je suis en relation avec le champagne. Je dois satisfaire tout le monde et en même temps coller à ma consommation présente. Il est bon que les gens sachent ce que je bois actuellement. Actuellement je bois énormément de champagne Jean Josselin et la maison Jean Josselin se pâme de bonheur.

Catulle célèbre le vin. La Bible célèbre le vin. Le champagne est une invention relativement tardive. Cela ne permet pas d’aller très loin dans l’Histoire. C’est mon combustible à moi. Il n’existe rien qui soit aussi ascensionnel que le champagne. Je n’ai rien inventé. Cela dépend tellement d’un écrivain à l’autre.

Celui qui me fascine le plus c’est Bukowski. Bukowski buvait ce qu’il y avait de pire et dans dans les pires conditions des quantités absolument repoussantes. Malgré tout une prose d’une beauté extraordinaire avait émergé. J’ai essayé ne serait-ce que d’écrire sous l’effet du champagne de la meilleure qualité. Et cela ne donne rien. Je perds tout contrôle de moi quand je bois du champagne. Je ne peux en aucun cas écrire. Par rapport à Bukowski je me sens toute petite.

Mes personnages ont tendance à boire ce que je suis entrain de boire et dans le même ordre de temps. Vous pouvez dater plus ou moins les bouteilles que j’ai bu en fonction du roman. Je ne sais pas si c’est très intéressant. Beaucoup de gens m’ont écrit que mon livre donnait épouvantablement envie de boire du champagne.

Onirik : Êtes-vous toujours nostalgique du Japon ?

Amélie Nothomb : « La nostalgie heureuse » : le Japon prend une place centrale dans ma vie. Mais ma vie n’appartient pas au Japon. Ma vie est de plus en plus en France. Pétronille est un roman français. Pour moi l’exotisme ce n’est pas le Japon, mais c’est la France, pays extrêmement bizarre. Il y a un autre pays dont j’ai encore moins parlé dans mes livres c’est la Belgique et j’aimerais m’y consacrer.

Dans le film Le jour d’après, des personnes coincées dans une bibliothèque se disputent pour déterminer quel livre ils doivent brûler pour survivre au froid. Cela m’a rappelé quelque chose.

Oui, moi aussi, de là à penser que mon livre a servi de modèle, ma paranoïa ne va pas jusque là. Les Combustibles est sorti en 1994. Le film est de 2004. J’aimerais croire qu’ils se soient inspirés des Combustibles, mais quand même. En même temps la question de l’autodafé ne m’appartient pas.

Notre Europe est bien placée pour savoir que la question de l’autodafé ne m’a pas attendu malheureusement pour être douloureusement d’actualité. C’est vrai que les Américains y arrivent plus tard, car cela n’a pas eu lieu sur leur sol. Cela a eu lieu sur notre sol donc nous sommes tous traumatisés par cette question.

Onirik : Quel livre brûleriez-vous pour ne pas mourir de froid ?

Amélie Nothomb : Holà des gens peu sympathiques ont répondu à cette question à ma place il n’y a pas tellement d’années que cela. Je préfère ne pas répondre à cette question.