Interview de Franck Thilliez

Onirik : Deux de vos romans Fractures et La Mémoire fantôme sont étroitement liés au domaine de la psychiatrie.

Franck Thilliez : Je me suis imprégné de l’ambiance. Afin de savoir comment ça se passe, je me suis rapproché du CHR de Lille et j’ai eu la chance de connaître le psychiatre de garde. Aux urgences arrivent des patients souffrant de causes qui ne sont ni somatiques ni traumatiques. Le psychiatre regarde les blessures psychiques. La patiente souffrant de maladie mentale constitue un personnage à la fois fort et fragile, tout en étant très intriguant.

La Mémoire fantôme est inspiré du film Memento où l’enquêteur perd la mémoire tout le temps. Dans Fractures l’état mental d’Alice est lié à celui de son père. L’épisode traumatique repose sur un fait historique. Il était présent dans l’un des camps de Sabra et Chatila au Liban en 1982. Le massacre auquel il assista fut suffisamment puissant pour que 25 ans plus tard le traumatisme soit encore là. Celui d’Alice est lié à son enfance. Son père traumatisé lui a transmis son malaise.

Outre Alice qui enquête sur elle même, on trouve deux autres enquêteurs : le psychiatre Luc Graham, ainsi que l’assistante sociale en psychiatrie Julie Roqueval. Ce sont des personnages capables de porter l’histoire. De plus leur intelligence leur permet de prendre des décisions.

J’ai toujours utilisé des policiers dans mes romans. Ici, j’ai créé une enquête pour ceux dont ce n’est pas le métier d’enquêter, bien que les psychiatres soient en un sens des enquêteurs. J’ai essayé de faire quelque chose qui ne soit pas linéaire à partir de plusieurs histoires qui sont toutes intéressantes et intrigantes afin de repousser le plus loin possible le final.

Onirik : On retrouve dans vos romans un thème récurrent, celui du double, les jumelles entre autres.

Franck Thilliez : Dans toute histoire que j’écris il existe une partie concrète, mais également une partie personnelle et inconsciente qui ressort. Je connais des jumeaux dans ma famille. La gémellité est quelque de chose de fascinant. Il y a quelque chose de très mystérieux et dans le monde de la magie les jumeaux sont très pratiques pour les tours de passe-passe.

Onirik : On trouve également le thème du prédateur, pas seulement parmi les agresseurs mais également chez les enquêteurs. Dans la Mémoire fantôme se produit une alliance entre deux policiers qui au fond d’eux-même sont des prédateurs.

Franck Thilliez : Il s’agit d’une récurrence à ce genre littéraire où se produit en permanence la lutte entre le Bien et le Mal. Ce qui m’intéresse dans ces personnages c’est de pointer leurs disfonctionnements. Quel que soit le personnage tout le monde a une partie plus ou moins cachée. Ce qui m’intéresse c’est de prendre quelqu’un qui est en apparence un héros du roman et de développer sa partie négative.

Dans La Chambre des morts c’est très marquant, très visuel. Deux personnages percutent et tuent accidentellement quelqu’un qui a de l’argent. Ce ne sont pas a priori des gens mauvais. Mais d’un seul coup, ils vont basculer d’un côté et ne peuvent plus retourner de l’autre. Quand on est au bord de la frontière, on peut toujours à un moment donné rebifurquer, essayer de revenir. Mais quand on commence à s’en éloigner on est tellement loin qu’on se dit que c’est impossible. C’est pareil dans la maladie mentale. C’est ce qui conduit les gens aux extrêmes. On identifie très bien les personnes qui sont aux extrêmes c’est ce qui créé les faits divers. Par contre les gens qui sont toujours entre les deux sont plus difficiles à cerner.

Onirik : Parmi vos enquêteurs que devient Sharko ?

Franck Thilliez : Ce commissaire de police est un personnage que j’aime beaucoup. Il reviendra probablement, tout comme Lucie Hennebelle le personnage de La Chambre des morts. Ce sont des personnages riches qui vont revenir. Ce sont eux qui ont besoin de revenir. Lorsque j’ai des choses à raconter sur eux ils viennent frapper au coin dans la tête.

Onirik : Et dans l’avenir immédiat ?

Franck Thilliez : Il s’agit de L’empreinte sanglante[[avec Raphaël Cardetti, Maxime Chattam, Olivier Descosse, Eric Giacometti, Karine Giébel, Jacques Ravenne, & Laurent Scalèse, éd. Fleuve Noir (novembre 2009)]]. Avec huit auteurs je devais réaliser une nouvelle d’une quarantaine de pages avec un thème commun : une phrase de départ l’empreinte sanglante d’un pied nu, la suivre au long d’une rue. A partir de cette phrase compliquée, il s’agit d’individualiser une histoire avec une difficulté : comment faire différent de ce que va faire le voisin sans savoir ce qu’il écrit. Le texte court constitue un exercice très compliqué. Il s’agit de plonger tout de suite les personnages dans l’action.

Onirik : Et pour la télévision ?

Franck Thilliez : Pour France 2 a été réalisé le téléfilm Obsession[[réalisé par Frédéric Tellier]]. Il s’agit d’un polar au texte original où l’héroïne (Emilie Duquesne) au savoir encyclopédique et passionnée par les tueurs en série va être la seule à détecter qu’une scène de crime ressemble à celle d’un tueur en série qui est mort il y a 4 ans. Elle va partir à la recherche du policier (Samuel Le Bian) qui enquêtait sur cette affaire. Elle va le trouver dans les archives au sous-sol, puisqu’il est devenu un peu borderline. Ils vont se rendre compte que ce tueur qui est censé être mort, est peut-être revenu.

Onirik : Vous avez également travaillé pour TF1[[Gévaudan]]

Franck Thilliez : Les histoires policières passant sur TF1 sont beaucoup plus grand public destinées à un public familial que sur France 2. Sur France 2 on connait les contraintes de la chaîne : il ne faut pas que ce soit interdit aux moins de 12 ans et il existe également des limitations financières (de préférence sans hélicoptères). Mais à partir de là, on peut construire une histoire. Sur TF1 il y beaucoup plus de contraintes parce que derrière il y a des publicités. Le but est d’attirer le plus de personnes possibles devant l’écran, tandis que France 2 laisse une place plus grande à la fibre artistique.