Interview de Nicolas Giffard

Onirik : Auteur prolifique, vous avez participé à des projets orientés grand public comme les « fiches Atlas » sur les échecs. Comment trouvez-vous le temps de concilier cela avec votre vie professionnelle de Maitre International ?

Nicolas Giffard : Ces fiches Atlas, au nombre de 1.440 , m’ont finalement pris presque tout mon temps durant 4 ans. D’habitude, ils engagent deux auteurs pour ce genre de collection, mais j’ai préféré les faire tout seul pour avoir, en liaison avec les demandes de chez Atlas, un libre choix « technique » sur leur contenu. Donc, j’ai très peu joué au début des années 2000, me contentant essentiellement de rencontres par équipe.

O : Vos trois tomes 100 exercices pour … présentent des exercices très bien gradués et bien choisis. Où trouvez-vous les exemples de parties ? N’est-ce pas dommage de ne pas donner la référence dans le cas de parties « réelles » ?

N.G. : Avec Jacques Elbilia, on s’est partagés le travail, pour les trois tomes de la série, de la façon suivante : on se mettait d’accord sur l’esprit général des livres, leur niveau technique, les domaines du jeu qu’ils devaient aborder. Ensuite, Jacques était chargé, par sa bonne connaissance des ouvertures et à son maniement habituel des outils informatiques (banques de données notamment), de trouver les exemples pédagogiques. Quant à moi, je m’occupai de tout l’habillage : choix de leur ordre d’apparition, rédaction des énoncés et des solutions.

Voulant faire passer avant tout au lecteur la connaissance technique de ces exemples, stratégiques ou tactiques, qui font partie de la culture de tout joueur sérieux de compétition , il nous a paru accessoire de rechercher et d’indiquer systématiquement leur première apparition historique.

O : Ed Trice, l’inventeur – ou plutôt le breveteur, des Gothic Chess
compte organiser une rencontre Karpov-Fischer. Judit Polgar a essayé
cette variante. Quel regard portez-vous sur ces innombrables variantes qui tendent à faire croire que le jeu d’échecs est dépassé alors que finalement le temps a donné tort à Capablanca qui pensait de son vivant voir le crépuscule de ce jeu ?

N.G. : Je les considère comme des domaines complètement différents, qu’il ne faut pas mettre en concurrence avec le jeu traditionnel. Si l’on aime tant celui-ci, décliné depuis des siècles avec la même grammaire, c’est beaucoup à cause de son universalité. Des joueurs de tous les pays, de cultures diverses, peuvent y exprimer leurs styles, se comprendre et confronter leurs idées. Pour avoir la même chose avec ces nouvelles variantes, il faudrait patienter encore quelques siècles…

Par ailleurs, quant on voit, par exemple, la façon un peu magique dont jouent les tout jeune Maxime Vachier-Lagrave ou Magnus Carlsen, on se dit que le jeu classique est loin d’être répétitif ou, comme vous dîtes, « dépassé ».

O : Alexandre Kotov dans son ouvrage « Pensez comme un grand
maitre »
(titre original : TAINII MYCHLEINIYA CHAKHMASTITA), conseille aux jeunes de ne pas abandonner trop tôt la perspective d’une carrière non échiquéenne avant d’être sûr de pouvoir vivre de cet art. Vous qui en vivez, donneriez vous le même conseil ?

N.G. : Ce conseil est d’autant plus crédible qu’il avait été donné dans le cadre soviétique, un pays communiste où le jeu d’échecs était bien structuré et disposait de subventions importantes. En France, de nos jours, les jeunes talents des échecs vivent, comme les jeunes musiciens, entre l’espoir de parcourir le monde d’événement prestigieux en événement prestigieux, et le risque, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, de devoir se contenter d’enseigner le jeu.

Mais il serait bien triste de ne jamais suivre ses passions de jeunesse…

O : Sur les cinquante dernières années on a vu au début la FIDE se structurer notamment en définissant des règles plus strictes quant au titre de champion du monde mais aussi des scissions par exemple avec Kasparov et sa GMA. Récemment Kramnik a été accusé de tricherie lors de son duel avec Topalov ce qui n’est pas sans nous rappeler les accusations de Korchnoi envers Karpov et ses yaourts. Est-ce selon vous les risques de la professionnalisation du milieu ou est-ce lié à une autre cause ? Le rationalisme a-t’il définitivement tué l’esprit chevaleresque des romantiques ?

N.G. : La conquête du titre de champion du monde a toujours revêtu une importance considérable. La politique s’en est mêlée pendant la Guerre Froide. De nos jours, les enjeux sont plus sportifs et financiers, mais assez énormes pour entraîner toutes sortes de suspicions. Avec la suprématie des programmes d’échecs, dont les conseils sont désormais judicieux, même pour un champion du monde, on craint à juste titre les tricheries liées à eux. De plus, il va falloir aussi soumettre les joueurs au contrôle anti-dopage. Ainsi va le progrès…

Pour autant, le romantisme échiquéen ne va pas disparaître. Il existera toujours des joueurs comme Alexeï Chirov pour enflammer l’échiquier.

O : La France est seulement huitième au classement FIDE. Pourquoi notre pays n’arrive pas à décoller ?

N.G. : Pour moi qui ai commencé les compétitions dans les années 70, et connu le « désert » échiquéen français, le décollage a bel et bien eu lieu. Cette 8e place est une progression fantastique dans un pays où la culture du jeu n’existait quasiment pas.

O : Les échecs sont devenus un sport reconnu par le ministère des sports depuis 2000. Quel est l’intérêt d’une telle reconnaissance pour les échecs ?

N.G. : Cette reconnaissance est un aboutissement logique. Les échecs sont un sport non musculaire, déjà reconnus comme tel dans un grand nombre de pays.

O : Avez-vous d’autres livres en court d’écriture ?

N.G. : Je peaufine l’actualisation de mon Guide des Échecs, sorti en 1993, que les Éditions Robert Laffont m’ont commandé. La date de sortie reste incertaine : 2008, 2009 ?