Interview de Richard Stallman

Richard Stallman, fondateur de la FSF (Free Software Foundation), a réussi à trouver du temps pour répondre à quelques unes de nos questions.

Onirik le remercie chaleureusement et cela me permet au passage de lui apporter mon soutien sans faille.

Vote électronique

Onirik : Beaucoup de spécialistes nous ont alerté du danger du vote électronique que ce soit sur une machine à voter ou via internet. Quelle est votre position sur ces sujets ?

Richard Stallman : Je suis d’accord: les systèmes informatiques ne méritent pas la confiance en ce qui concerne les élections, parce que le logiciel et les données y sont trop vulnérables. Quels que soient les programmes dans la machine, et qu’ils soit libres ou privateurs [[Le terme de « logiciel privateur » ou « programme privateur » est à
utiliser à la place de « logiciel propriétaire » parce que ces
programmes privent les utilisateurs de leurs libertés. Ils
maintiennent les utilisateurs dans un état de division et
d’impuissance. Division car il est interdit de partager le programme
et impuissance parce que les utilisateurs ne disposent pas du code
source, ne peuvent pas le modifier pour corriger des erreurs ou
l’adapter à leurs besoins, et ne peuvent pas même vérifier ce que fait
réellement le programme.
Un logiciel libre respecte la liberté de l’utilisateur en lui
garantissant les quatres essentielles que tout utilisateur de
programme doit avoir : liberté d’utilisation du programme, liberté
d’étudier le code source du programme, liberté de modifier le
programme, liberté de distribuer des copies du programme original ou
modifié.]] , celui qui veut tricher peut substituer une autre version juste avant l’élection.

Les systèmes électoraux sont complexes (et l’ordinateur-même n’en est
qu’un composant). Leurs vulnérabilités ne sont pas évidentes. Si
quelqu’un prétend avoir vérifié un système électoral numérique,
peut-être a-t-il vérifié le logiciel et la machine, mais il faut se
méfier d’une omission désastreuse de quelque chose dans le reste du
système.

Onirik : La solution ne serait-elle pas de baser l’ensemble du système sur des logiciels libres (free software) et des standards ouverts ? Sinon pourquoi ?

RMS : Les standards n’ont rien à voir dans ces propos.
Le logiciel libre veut dire le logiciel qui respecte les droits de
l’homme de l’utilisateur. Lesquels, spécifiquement? 0: La liberté de le faire tourner comme vous voulez. 1. La liberté d’étudier
le code source et de le changer, pour que le programme fasse ce que
vous voulez. 2. La liberté de distribuer des copies aux autres, quand
vous voulez. 3. La liberté de distribuer des copies de vos versions
modifiées, quand vous voulez. Ces quatre libertés (dont la liberté 2
assure le droit de pratiquer la fraternité) nous donne un système dans
lequel l’utilisateur est libre dans son informatique, libre du
contrôle des autres entités privées.

Mais quand l’utilisateur est l’agence électorale, et l’utilisation consiste à
compter les votes, est-ce que ça suffit? Pas pour nous assurer que le
scrutin est honnête. Même si vous avez étudié le programme de
comptage des votes pendant six mois, et vous êtes assuré qu’il fonctionne honnêtement, vous ne pouvez pas être sûr que le programme qui compte les votes est celui que vous avez étudié.

La démocratie est trop importante pour y prendre des risque évitables.
Si un système numérique de comptage des voix paraît solide, il faudrait vingt ans d’expérience pour y faire confiance.

Le projet GNU

Onirik : Voyez-vous les hommes politiques comprendre que le projet Gnu leur offre l’indépendance numérique vis à vis de grosses entreprises commerciales, la plupart américaines ? Les mentalités ont-elles évolué ces dernières années ?

RMS : La majorité des hommes politiques ne le comprennent pas encore, mais enfin ils ont commencé à apprendre. En France, une grande majorité des candidats a répondu aux questions du site candidats.fr sur la liberté et l’informatique — plus que jamais auparavant. Mais c’est
toujours insuffisant.

Onirik : Que pensez-vous de l’Europe qui est dépendante des autres pour ses ressources primaires (pétrole, nourriture, …), les ressources numériques (logiciels et matériels informatique, les DNS, …) et à un certain point militairement ?

RMS : Il faut distinguer la dépendance à quelqu’un en particulier et celui au reste du monde. Dans les ressources physiques, nous voyons
le second, qui n’est pas forcément dangereux en soi. Dans le
numérique, le logiciel privateur impose la dépendance à une entreprise
spécifique, qui est dangereuse parce que cette entreprise devient
comme le seigneur des utilisateurs. Dans le militaire, c’est plus ou
moins la soumission aux États-Unis, peut-être plus dangereuse encore.

Onirik : Etes vous souvent sollicité par des responsables européens pour aborder le deuxième point ?

RMS : Pas très souvent, mais en juin j’étais invité à parler à un comité
du parlement italien au sujet du logiciel libre.

Onirik : Quels sont les prochains défis pour le « Free Software Movement » ?

RMS : Surtout nous devons résister aux tentatives des grands entreprises d’interdire les logiciels libres (par exemple, avec les brevets
informatiques ou la EUCD) pendant que nous augmentons le nombre des applications libres disponibles. Pour pouvoir résister face à ces dangers, il faut renforcer les racines du mouvement, c’est à dire, éduquer les
utilisateurs du système GNU-Linux, qui l’apprécient déjà pour ses
avantages pratiques, à l’apprécier encore plus parce que ces logiciels respectent les droits de l’homme.

Onirik : De quel type d’aide vous avez besoin pour atteindre ces objectifs ?

RMS : Nous avons toujours besoin de plus de développeurs, mais le besoin le plus urgent est pour plus d’activistes pour diffuser les idées
philosophiques du mouvement du logiciel libre.