Interview de Rohena Gera

Onirik : Votre premier film de fiction, Monsieur, traite d’un problème social lié à la condition des domestiques.

Rohena Gera : C’est un film très personnel. J’ai porté toute ma vie cette problématique de classe. J’ai grandi comme ça. On n’a pas besoin d’être trop aisé pour avoir des gens qui travaillent pour sa famille à la maison. Lorsque j’ai grandi une servante faisait partie de la famille. En ce sens que c’était une deuxième maman. Mais il y avait cette ségrégation dans la maison. Elle ne mangeait pas avec nous. Elle mangeait par terre.

Même les gens qui travaillent à la maison actuellement mangent séparément. Ce que vous voyez dans le film correspond à ce qui se passe en Inde. Ce qui est très… « normal ». J’étais consciente très jeune du problème. J’ai cherché à en parler d’une façon non-manichéenne. Je me sentais en partie coupable de faire partie de ce système.

Onirik : Ashwin et Ratna forment un couple potentiel qui semble condamné à ne pas exister du fait de la société indienne. Peut-on dire que les personnages évoluent ?

Rohena Gera : Ratna est le personnage principal. Ashwin, lui, change davantage. Ratna est fidèle à son personnage. Elle lui pique un peu la gloire. Elle a beaucoup plus à faire dans le film. Elle est plus dynamique.

Ashwin, lui, a vécu ailleurs, ce qui pourrait expliquer son évolution. Mais j’aimerais croire qu’il n’y a pas que ça. J’aimerais croire que des hommes indiens peuvent évoluer, même s’ils n’ont pas vécu aux États-Unis. Au début du film il ne la voit pas vraiment. Il commence à la voir quand il s’ouvre. Il est un peu plus clair.

Pour les familles la société est très importante.
Le système des castes très machiste. Le seul espoir, c’est les femmes en Inde qui se battent comme elles peuvent. Dans ce film les femmes n’attendent pas que les choses changent.

Ratna appartient toujours à la famille de son mari décédé. Le statut de la veuve en Inde est très compliqué. Même dans les castes plus élevées, il est très difficile pour une femme de reconstruire sa vie, alors que les hommes se remarient très facilement.
Ratna est veuve. Elle est passée par une épreuve terrible, mais cela l’a amenée à la liberté. Quelqu’un de son village travaille en ville et lui a trouvé un travail.

Onirik : Quel a été votre propre parcours ?

Rohena Gera : Après avoir grandi en Inde j’ai fait des études à New York. Puis je suis retournée en Inde travailler pour le cinéma.

Onirik : Votre film appartient au cinéma indépendant. Existe-t-il des liens entre le cinéma indépendant indien et Bollywood ?

Il y a des relations. Par exemple on peut avoir une vedette qui décide de soutenir un projet comme ça et avec la force de son nom. Les gens ne se détestent pas. Souvent le cinéma indépendant est traité comme une étape pour aller travailler à Bollywood. Moi, j’ai travaillé à Bollywood avant de réaliser ce film.

Onirik : Comment le public indien a-t-il réagi à votre film ?

Rohena Gera : Pour l’instant je n’ai pas encore fait de projection en Inde. La sortie est assez compliquée là-bas. Déjà c’est un cinéma indépendant et c’est un film qui demande au spectateur de se poser des questions. Je suis un peu obligée de me battre pour la sortie. Dans les prochains mois je vais me rendre en Inde pour essayer de placer le film.

Les diffuseurs ne respectent pas les spectateurs. C’est agaçant. Ils estiment que le film pourrait à la rigueur marcher dans les quartiers riches…

Monsieur  est un film qui invite le spectateur à se remettre en question. Je pense que les spectateurs sont prêts.