Interview de Todd Robinson

Onirik : Est-ce votre expérience de videur qui vous a permis de trouver de la matière à l’écriture ?

Tobb Robinson : Oui, c’est complètement basé sur un bar où j’ai travaillé à Boston. C’était un bar très fameux, qui a fermé depuis, mais dont la page Facebook existe toujours. Tous les personnages et l’ambiance sont complètement inspirés de ce lieu.

Onirik : Pourquoi avoir choisi ce lieu où une nuit sans bagarre relève du miracle ?

Tobb Robinson : Je ne sais pas si c’est vraiment un choix. Mais c’est ce qui m’est apparu comme étant le plus logique. Là où je travaillais était clairement un endroit qui relève du roman noir, d’une histoire noire, peuplé d’alcooliques, de désaxés, de gens solitaires, que ce soient les gens avec qui vous travaillez ou les gens que vous servez. Cela nourrit complètement l’imagination.

Onirik : Comment êtes-vous venu à l’écriture et comment sont nés Boo et Junior ?

Tobb Robinson : J’ai toujours écrit. Mon père enseignait l’anglais. Je me suis nourri de beaucoup de textes et de lectures très différentes. Je suis arrivé à lire rapidement des romans noirs. Beaucoup d’auteurs écrivent des histoires plus classiques de police et d’espionnage international. Les gens que je côtoyais faisaient partie de mon univers et donc je me sentais assez proche des histoires que je pouvais vivre. J’ai commencé à écrire des nouvelles et puis je me suis rendu compte que le point de vue du videur et du physionomiste n’a jamais été exploité en littérature. Cela fait un bon sujet. Si dans d’autres bouquins mes personnages comme Twitch, mais aussi Boo et Junior pourraient être considérés comme étant des méchants, moi j’avais envie de leur donner un autre aspect avec une vision positive de ces personnages.

Onirik : Comment a été créé Boo ?

Tobb Robinson : Je peux dire que c’est moi il y a quinze ans (et avec des cheveux). J’ai mis beaucoup de moi en lui.

Beaucoup d’évènements que je raconte sont basés sur des faits réels, des faits que j’ai pu vivre moi en tant que videur ou bien qui auraient pu m’arriver. Boo a frappé des gens que j’aurais bien aimé frapper. Je n’en suis pas arrivé jusque-là. Junior est une combinaison de mes deux meilleurs amis que je connais extrêmement bien.

Onirik : On sait très peu de choses sur Junior et Emily. Un 3e tome éclaircira-t-il leur cas ?

Tobb Robinson : Oui je travaille sur un 3e livre. Je vais développer l’histoire, tous les secrets qui planent sur les personnages.

Onirik : Comment a été créé Twitch ?

Tobb Robinson : Twitch est la combinaison de deux personnes qui travaillaient avec moi. L’un avait été ranger dans l’US Army. L’autre avait un tic à l’œil et avait probablement un pistolet sur lui. Ce n’était pas quelqu’un avec lequel on était à l’aise.

Onirik : Avec toute cette violence on se demande comment les personnages sont encore vivants. Dans une interview vous avez déclaré qu’il y a beaucoup de vous en Boo, mais que vous vous êtes assagi.

Tobb Robinson : En fait, cela fait toujours partie de ma vie quotidienne. Il y a deux ans j’ai dû sortir un client du bar. Il était hyperdrogué et était 20 ans plus jeune que moi. Il ne voulait pas s’en aller. Je l’ai attrapé et lui ai collé la gueule sur le béton en attendant que les flics arrivent. Lui il est allé en prison et moi je me suis retrouvé avec l’épaule démise et les côtes cassées.

Onirik : Dans vos romans la violence est souvent associée à l’humour. Comment travaillez-vous cet humour ?

Tobb Robinson : Ce n’est pas travaillé. C’est un effet qui vient naturellement. Je place les videurs et les physionomistes, qui sont autant confrontés à des situations stressantes que les policiers ou les pompiers. J’en ai vu beaucoup qui racontaient des histoires terribles, extrêmement violentes et dures. Ils les racontaient avec beaucoup d’humour. C’est le seul moyen de supporter et de les intégrer. Le seul moyen c’est de les raconter avec humour. Plus la situation est violente et difficile, plus l’humour est un moyen de la supporter. J’ai moi aussi été confronté à des situations extrêmes et l’humour est un moyen de dédramatiser, de supporter tous les jours son lot de violence ou de situation compliquée.

Onirik : Le rythme est rapide. Il n’y a pas de répit pour les personnages ni pour le lecteur.

Tobb Robinson : Ce n’était pas mon intention à l’origine. Mais c’est vrai que j’ai probablement une sensibilité beaucoup plus cinématographique. Je suis influencé plus par le cinéma que par la littérature. J’écoute beaucoup de musique quand j’écris et j’écoute de la musique qui correspond à ce que je suis en train d’écrire. Si j’écris une scène d’action où il se passe beaucoup de choses j’écoute du rock ou du rap. Par contre, je peux écouter de la musique plus calme lorsque j’écris des scènes avec plus d’émotion. Immanquablement cela va jouer sur le rythme.

Onirik : Quelles sont vos influences ?

Tobb Robinson : C’est difficile de dire que j’ai été influencé. Je me suis rendu compte que pendant dix ans (le temps que j’ai mis pour écrire ces livres) j’ai regardé beaucoup de films qui m’ont certainement influencé comme la trilogie de Park Chan-wook (Old Boy, Lady Vengeance et Sympathy for Mister Vengeance).

Onirik : Comment avez-vous été édité ?

Tobb Robinson : C’est très compliqué d’avoir un éditeur aux États-Unis. J’ai eu deux éditeurs pour mes deux livres et j’en aurai probablement un 3e pour le troisième livre. Je n’écris pas des livres qui sont faciles à éditer pour les éditeurs américains. Il y a en gros deux types d’éditeurs : les très grosses maisons d’édition n’éditent que des romans qui ne vont pas déranger. Et puis il y a d’autres qui prennent le risque.

Mon éditeur français va me dire « vas-y, on en veut encore ». À l’inverse aux États-Unis on me dit « non, ça suffit ». J’apporte des sujets qui dérangent. Je ne suis pas dans le moule.

Il existe un climat de friction politique aux États-Unis. Mon agent après avoir lu mon livre a déclaré : « Félicitations tu as écrit un livre qui va déranger, offenser beaucoup de lecteurs notamment avec les cent
premières pages assez rudes
».

Onirik : Quel est votre public aux États-Unis ?

Tobb Robinson : J’ai une petite audience de lecteurs passionnés. Je ne m’y intéresse pas. Il y a différents chiffres. Il y a plein de formats : format numérique, poche, grand format. Je reçois le chèque et je me dis « ah superbe, je peux mettre du bacon dans mon cheeseburger« .

Ici on me pose énormément la question si je suis connu aux États-Unis. Mais sachez que de l’autre côté de l’Atlantique on me pose la même question.

Onirik : Où sont vos lecteurs aux États-Unis ?

Tobb Robinson : Je n’en ai aucune idée, partout dans le pays. Je sais qu’il y a plus de ventes à New-York et aux alentours. Les lecteurs sont très urbains. Mais ils peuvent aussi être fascinés par un endroit différent de là où ils vivent. C’est ainsi que j’ai de nombreux lecteurs dans le Sud des États-Unis. On est touché par quelque chose qu’on ne connaît pas.

Onirik : L’action se déroule à Boston. Est-ce que cela pourrait arriver dans n’importe quelle ville ?

Tobb Robinson : Non, cela ne pourrait se passer qu’à Boston. Cette ville a une structure sociale unique avec des travailleurs, des cols bleus au milieu d’une population d’étudiants extrêmement importante, mais qui bouge énormément et puis il y a toute une partie de la population, une certaine bourgeoisie de Boston qui est là depuis des générations. Ce qui est arrivé à Cassandra ne pourrait pas lui arriver à New-York, Chicago ou Los Angeles.

Onirik : Comment élaborez-vous l’intrigue ?

Tobb Robinson : Parfois j’ai une idée de comment cela commence, mais pas comment cela se termine. Par exemple pour Cassandra j’avais trois fins possibles. J’ai exploré les différentes possibilités. En revanche pour Une affaire d’hommes j’avais le début, j’avais la fin, mais je ne savais pas du tout ce qui allait se passer au milieu. Je me découvre. Je me surprends moi-même. Le lecteur sera lui-aussi surpris.