La dernière Elfe Grise – Episode 5

L’épisode précédent

Elle le devait. Sa vie serait une revanche sur la bêtise des hommes. Ils avaient peur de ce qui était différent d’eux, plutôt que de s’en émerveiller. Chaque minute, les elfes admiraient les merveilles de la nature. Les hommes étaient trop occupés à détruire ce qui ne leur plaisait pas.

Olias entra dans la tente, les bras chargés de fournitures médicales et d’herbes en tout genre. Il appela Nassë du menton pour qu’il vienne l’aider.
– Comment va-t-elle ? Demanda le prince en même temps qu’il déchargeait son ami de ses bandages.

Olias soupira :
– Pas bien. Elle a perdu beaucoup de sang. Certaines plaies sur ses bras sont infectées. Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir, mais…

Il ne finit pas sa phrase. Mieux valait laisser certaines choses en suspens. Par ailleurs, Nassë savait très exactement ce qu’Olias avait voulu dire. Si Lossëa n’avait plus envie de se battre, si elle avait perdu l’envie de s’accrocher à la vie, c’était peine perdue. Elle ne se réveillerait jamais.

Les deux amis revinrent s’asseoir près de la malade et Olias entreprit de méticuleusement défaire les bandages des bras. Il expliqua en même temps :
– J’enlève les bandes. Je sais que je les ai mises il n’y a pas si longtemps mais je veux laisser les blessures à l’air libre le plus possible. C’est la meilleure façon d’obtenir une cicatrisation rapide.
Nassë intervint :
– Oui, je sais tout ça. Je ne suis pas guérisseur mais…
– Ce n’est pas pour toi, c’est pour elle.
L’incompréhension gagna Nassë.
– Oui, je sais qu’elle est inconsciente, mais il circule une théorie parmi les guérisseurs, qui veut que les patients en état de grande faiblesse entendent ce qu’on leur dit et que c’est un moyen pour eux de rester connectés avec nous.

Il se retourna et découvrit la mine dubitative du prince.
– Peu importe que l’on y croit ou non, Nassë. On peut essayer, ça ne demande pas beaucoup d’efforts, n’est-ce pas ?

Il poursuivit donc :
– Je vais simplement appliquer un onguent sur les parties infectées. Quant le corps est trop faible, il ne peut pas lutter seul, il a besoin d’aide. Cela va sans doute piquer un peu.

Il prit un bol en cuivre et y mélangea quelques herbes, qu’il réduisit en poudre puis tamisa. Il mélangea les fines particules avec un peu d’eau et un liquide poisseux. Il expliqua à Nassë, dont il devinait le regard interrogateur et vaguement dégoûté :
– De la sève de pin. Le sucre qu’elle contient et sa texture en font un excellent désinfectant. Et il ajouta, un sourire en coin :
– Souviens t’en quand tu te lanceras dans une folle expédition et que tu rentreras crasseux et pouilleux.

Olias reprit son sérieux. Il saisit un tissu propre et en l’enduit de sa préparation. Il se rassit à côté de de sa patiente et les recouvrit soigneusement. Lossëa n’eût aucun frémissement. Olias soupira.

Il posa le récipient maintenant vide sur une table derrière lui.
– Les marques sont régulières. Elles ont sans doute été faites avec un même instrument. Et elle sont situées à des emplacements très précis. Pile sur les veines. Ce qui laisse supposer qu’ils ont voulu lui prélever du sang.
– C’est peut être de ma faute en fait, avoua Nassë. Quand je lui ai retroussé ses manches, ça a beaucoup saigné.
– Mais les marques étaient déjà là non ?
– Oui.
– Alors ne t’en fais pas, tu n’as pas arrangé les choses, mais tu n’as rien provoqué de plus grave. J’ai recueilli un peu de sang de ses blessures moi aussi. J’ai étudié son sang. Il a réagit à beaucoup d’antipoisons. Ce qui me laisse penser qu’ils essayaient de créer un genre de poison très agressif et son antidote. Quelque chose qui soit efficace sur les elfes, sinon ils auraient testé sur l’un d’entre eux, quitte à renouveler leur cobaye souvent.

Il haussa les épaules et ajouta :
– Les hommes ne considèrent pas vraiment la vie comme précieuse.

Les deux amis restèrent silencieux longtemps. Chacun réfléchissait aux conséquences de ce qu’ils venaient de découvrir. Créer un poison qui agisse sur les elfes ? Nassë se dit que ça correspondait tout à fait avec les derniers mots de son geôlier.

« Sales elfes ! Vous êtes l’engeance du diable, des démons ! Il faut tous vous exterminer ! »

Olias se leva et résuma leur pensée à tous les deux. « Ça n’augure rien de bon ».

Nassë restait auprès de Lossëa le plus possible. Il lui parlait, de tout et de rien. Il lui racontait sa vie, chez lui, dans une cité construite en pleine forêt, des maisons dans les arbres, des passerelles, du talent des artistes qui sculptaient chaque portion de bois…

Il lui dit qu’elle le verrait, bientôt. Il lui montrerait tout ce qui rendait sa cité exceptionnelle.

Mais elle ne se réveillait toujours pas. De temps à autre, Olias venait lui donner à boire, un thé où il ajoutait des herbes, afin de la nourrir en même temps.

Nassë trouvait cette attente épuisante, moralement. Il tenait à elle, vraiment. Il avait le sentiment qu’il n’aurait pas supporté de la perdre. Il aurait voulu la prendre par les épaules, la secouer et lui hurler « Réveille-toi ! Rejoins-moi ! ».

Il s’étonnait lui-même. Après tout, il n’avait aucune idée de qui elle était. Elle pouvait parfaitement être différente ce qu’il imaginait. Il ne savait pas pourquoi il s’était tant attaché à elle. Peut-être parce qu’il croyait au destin ? Il croyait aux âmes sœurs, aux êtres qui se cherchaient par delà les frontières, et qui, quand ils se trouvaient, avaient la sensation de ne faire plus qu’un.

Il avait rencontré de nombreuses elfes. Ses parents voulaient le voir marié pour assurer une descendance à la dynastie royale. Certaines demoiselles étaient charmantes et agréables, mais elles n’étaient là que pour profiter de son statut, pas par… amour. Oui, le mot était le bon. Nassë voulait se marier par amour, et chez les elfes, ce n’était pas la tradition, famille royale ou non. Et les traditions étaient un réel poids dans la vie des elfes. En effet, un peuple qui avait vécu sur ces terres depuis sa création, avant l’arrivée des hommes et des nains, un peuple millénaire, où chaque personne vivait des centaines d’années ne pouvait que mettre en place et perpétrer des habitudes inébranlables, où chaque devait être faite d’une certaine façon et pas autrement.

Ses parents songeaient de plus en plus à se retirer du pouvoir et à laisser à Nassë les reines du royaume. Ce qui n’enchantait guère ce dernier. Il comprenait bien les impératifs, mais voulait conserver sa liberté. Toute relative, cette liberté, car bien sûr, il devait se plier à certaines obligations.

La suite la semaine prochaine…