La fin des elfes 2 – Episode 2

Le premier épisode est disponible ici

Deuxième épisode

Il venait d’arriver à Vancia. Il avait fini son apprentissage de guérisseur, 50 ans de dur labeur à apprendre les noms de plantes, à étudier comment les faire pousser, mémoriser la façon de les utiliser, de les assembler, savoir reconnaître et diagnostiquer un poison, préparer des crèmes, des thés, des médicaments, réussir des points de suture et fabriquer ses instruments de chirurgie… 50 ans n’avaient pas été de trop ! Et il devait encore se perfectionner…

Comme le voulait la coutume, il avait quitté sa ville natale pour découvrir des contrées qui lui permettraient d’acquérir un savoir différent. Il venait des déserts de pierre de l’est, et avait pensé que vivre entouré d’une végétation luxuriante où la température ne dépassait jamais 30° devait être agréable.

Il avait présenté ses références au guérisseur en chef des salles de soins civiles de Vancia, qui avait parut plus intéressé par sa nationalité que ses compétences :
« Alors vous venez du désert ?
Olias n’avait pas jugé que cela méritait une réponse. Le guérisseur en chef, Greïr, continua sans se formaliser :
– Comment vous êtes-vous formé au métier de guérisseur ?
– Comme vous, j’imagine.

La réplique déplut à Greïr. Il continua toutefois :
– Il est noté ici que vous avez déjà travaillé à développer vos propres antidotes…
– Oui, nous disposons d’une assez grande indépendance chez nous, même en tant qu’étudiants.
Greïr fronça les sourcils :
– Je ne sais pas chez vous, mais ici, on demande aux guérisseurs une obéissance et un respect de leurs aînés…
Olias sourit.
– Et bien, vous me demandiez comment on nous forme au métier de guérisseur… On nous apprend par l’exemple, nous étudions des livres, et nos aînés écoutent ce que les étudiants ont à dire, car il arrive que les jeunes aient des idées utiles. »

Il s’était levé tout en parlant, et repoussa sa chaise. Ici, il ne se plairait pas. Il aimait le pays pourtant, les arbres hauts et fiers, l’ombre. Mais pas ses habitants.

Il aurait pu demander une chambre pour la nuit, mais il préférait dormir dans la forêt. Il ne savait pas quand il aurait l’occasion d’en revoir une aussi belle. Il s’éloigna de la cité, suffisamment loin pour être seul et pouvoir écouter les bruits de la nature. Chez lui, le silence était écrasant. Il faisait trop chaud pour user de la salive à parler de choses futiles, et les animaux suivaient cette règles également. Les pierres blanches rongées par la chaleur, s’effritaient en sable.

Quelques rares arbres décharnés survivaient vaillamment, et les seules herbes qui poussaient étaient des oyats, graminées secs et bleuâtres. Oh, certes, ils avaient l’océan, pour apporter une brise certains jours. Mais le vent salait la terre, et rendait les cultures difficiles. Le peuple d’Olias était donc nomade, migrant au nord en été et au sud en hiver. Ils préparaient en hiver un genre de pâtisserie salée, entre pain et biscuit, qui se conservait longtemps. Ils l’échangeaient parfois contre des fruits, et plus rarement, contre des animaux d’élevage.

On aurait pu penser que ces elfes, n’ayant jamais rien connu d’autre, se satisferaient de cette vie. Mais ce n’était pas le cas. Les jeunes quittaient le désert, pour y revenir une fois leurs expériences vécues. La nostalgie du vent sec et chaud les ramenait tous, un jour où l’autre.

Olias monta en haut d’un chêne, assez loin de la cité elfique, et se pris à rêver qu’il allait y construire une cabane, qui deviendrait maison, et où il pourrait exercer en indépendant. Il somnolait, souriant, quand il entendit un bruit qui le mit en alerte. Il n’était pas très bon combattant, pacifiste convaincu, mais n’était pas fou non plus : il sortit la dague qu’il portait à la ceinture et sauta de l’arbre, prêt à fuir.

Alors qu’il guettait les sons et scrutait les ombres, il fut percuté violemment par un autre elfe, qui courait en regardant derrière lui. Les deux elfes se retrouvèrent assis par terre, sonnés, à se dévisager sans se voir.

Olias reprit ses esprits en premier. Il secoua la tête, pour se débarrasser de sa vision floue et se releva, un peu titubant. Il entendait des pas lourds se rapprocher rapidement. Il les identifia immédiatement comme non elfiques. Des hommes. Il n’en n’avait jamais rencontrés. Les hommes ne venaient jamais dans le désert.

Oh, certes, Olias en avait déjà vus. Des cadavres desséchés par le vent salé et le soleil. La première fois, leurs oreilles rondes l’avaient surpris. Ils étaient plus gros, plus… balourds que les elfes. Et moins beaux. Il avait eut pitié d’eux et de leur carcasse fragile, de leur mortalité. Mais pas trop. Il avait aussi entendu parler de leur haine et de leur violence.

Pour l’instant, il n’avait pas le temps de réfléchir. Mieux valait s’enfuir et se cacher. L’autre elfe, toujours au sol, semblait hébété. Olias lui saisit le poignet et le releva. Cela parut le réveiller. Il murmura au guérisseur :
« Ils sont trop près, mieux vaut nous cacher ! »
Olias ne tenta pas d’argumenter. Il le crut sur parole et grimpa prestement au tronc le plus proche. Son compagnon d’infortune le suivit mais alors qu’il allait disparaître dans le feuillage, il fut happé par en dessous.

« Je le tiens ! » s’écria une grosse voix rauque.
D’autres voix riaient tout autour. L’autre elfe était en mauvaise posture. Olias songea à ses possibilités. De toute évidence, ces hommes n’avaient vu que l’autre, et il pouvait donc rester en sécurité dans l’arbre, bien caché. Mais une petite voix intérieure lui soufflait qu’il devait aller le secourir maintenant. Qui sait ce que les humains lui auront fait le temps qu’il aille chercher des secours ?

Dans un soupir, il raffermit sa prise autour de la poignée de sa dague, et sauta au milieu des cinq hommes. Dans un sursaut, ils s’écartèrent pour le dévisager. Olias décida de profiter de l’effet de surprise. Il gifla l’homme qui tenait l’autre elfe, avec juste assez de précision pour le couper à la joue avec sa lame. Dans un cri de douleur, il lâcha son prisonnier pour porter la main à son visage. L’autre ne se le fit pas dire deux fois : il prit ses jambes à son cou, talonné par Olias. Ils coururent longtemps. Le soir tombait quand Olias ralentit enfin. L’elfe qui le suivait s’arrêta également, à bout se souffle, regarda le guérisseur et s’effondra au sol.

Olias pesta. Il avait bien besoin d’un blessé sur les bras. Mais il l’avait sauvé des humains, ce n’était pas pour l’abandonner à son sort maintenant. Il soupira et revint vers l’elfe. Il prit son pouls : rapide et irrégulier, mais bien frappé. Il écouta sa respiration : rapide mais pas déficiente. Il l’ausculta rapidement : rien de visible. Mais quand il passa ses mains derrière son dos, pour le prendre dans ses bras afin de le déplacer, il sentit une matière visqueuse commencer à couler. Du sang, pas besoin d’être guérisseur pour le deviner.

Un coup de tonnerre fit frémir Olias. Il n’avait pas l’habitude des orages. Bientôt, la pluie se mit à tomber.

«  C’est le pompon » pensa l’elfe.