Le Complexe du loup-garou – Avis +/-

Présentation de l’éditeur

Pourquoi y a-t-il autant de  » serial killers  » aux États-Unis ? Pourquoi la  » production culturelle  » américaine (film, télévision, livres) est-elle aussi imprégnée de violence et de cruauté ? Est-il vrai que le spectacle de la violence imaginaire encourage le déchaînement des instincts violents ? Mais aussi : pourquoi la double figure du Dr Jekyll et de Mr Hyde, ou encore le complexe du loup-garou, sont-ils aussi présents dans la culture nord-américaine ? En se répandant mondialement, cette culture aurait-elle le pouvoir de multiplier parmi nous les appétits meurtriers et les obsessions macabres ?

Denis Duclos apporte ici une réponse inattendue à cette énigme, grâce à une enquête approfondie au cœur de la culture de la terreur. Il montre que la représentation de la violence à l’écran est d’abord le reflet d’une conviction mythique propre à la culture américaine : pour elle, la société n’est qu’un rempart précaire contre l’animal tapi en nous. Chez les tueurs en série comme chez les personnages sanglants de la fiction, elle ne fait que répéter les figures héroïques des sagas nordiques, les  » Berserk « , ces guerriers fous toujours tentés de se métamorphoser pour massacrer leurs propres familles. C’est ce fantasme qui lui fait accepter, en contrepartie, la surveillance automatisée, pour stopper le déviant, et qui explique en partie l’hypertrophie du droit aux États-Unis.

Avis d’Emmanuelle

Le livre est paru en 2005, et à ce jour, la violence a fait un bond en avant dans la pop-culture : qui n’a pas abandonné la série Walking Dead après la mort atroce de Glen ou après l’affaire des cannibales ? Les féministes se sont révoltées du viol de Sansa dans Game of Thrones, mais tout le monde a râlé devant le manque de sang des dernières minutes de la série, décrétant que ce n’était pas assez réaliste.

Après les années soixante/soixante-dix où la violence de films tels que Massacre à la Tronçonneuse, L’Exorciste ou La Nuit des Morts Vivants les ont directement classés dans la catégorie horreur (bizarrement, le film Délivrance a échappé à cette malédiction), le 21e siècle se détache de plus en plus de cette mise à l’écart en laissant la part belle, que ce soit au cinéma ou à la télé avec des séries, au sang, à l’angoisse, à la violence, à l’horreur.

Peut-être est-ce dû à une escalade savamment dosée (dans Walking Dead par exemple, ce sont d’abord les zombies les méchants, l’immonde vient plus tard, les scénaristes n’ont pas osé lâcher les cannibales avant la saison 5), qui fait avaler une horreur de plus en plus grosse sans que l’on s’en aperçoive, ou bien sous couvert d’une réalité historique (au Moyen-Age, c’était pas la joie, la guerre c’est moche, les Vikings sont des barbares sanguinaires).

La violence est clairement devenue un atout esthétique, tout comme le super « cute » pour certains (il n’y a qu’à voir l’engouement pour Animal Crossing, de nouveaux gamers youtubeurs sont partis à l’assaut des tops influenceurs en proposant des vidéos tuto sur le relooking de ses personnages).

L’auteur compare les tueurs en série à des êtres mythologiques, et va très vite jusqu’à leur donner l’étiquette de loup-garou. Qu’est-ce qu’un loup si ce n’est un homme qui devient une bête à la pleine lune, et ne se rappelle absolument pas de ses actes passée cette folie ? Cela pourrait s’appliquer aux meurtres passionnels parmi tant d’autres, vous savez, ce coup de folie que l’on regrette par la suite…

Mais quand on voit avec quelle facilité beaucoup de tueurs en série parlent de leurs actes, avec quelle délectation ils décrivent ce qu’ils ont fait subir à leurs victimes, on se rapprocherait beaucoup plus du mythe du vampire, tel que Bram Stoker l’a décrit dans son Dracula, un être à la conscience déviante, pour lequel les lois et la morale ne sont qu’un concept social étranger.

L’essai échoue par ses raccourcis faciles et ses incohérences et peine à sortir du cadre cinématographique et de ses tueurs en série. Si l’on décide de faire un essai sur la violence américaine, il ne faut pas se contenter des tueurs en série et des films qui en parlent, l’horreur revêt de nombreux visages…

Pour citer quelques exemples qui fâchent :
– les jeux de rôles ne pervertissent pas les jeunes esprits. Ce n’est pas parce que certains tueurs y jouaient que l’on doit y voir la route toute tracée vers la folie. On ne peut pas réduire ces jeux à des suites de meurtres commandités par un scénario barbare. Qu’en est-il des autres medias, à peine effleurés, comme la musique, les bandes-dessinées, les mangas ?
– Le réalisateur de La Famille Addams se serait inspiré de Kemper jouant avec une guillotine lorsqu’il était enfant pour la scène qui a rendue iconique Mercredi, alors que le film est tiré d’une série d’illustrations de Charles Addams parue dans le New York Times. Le dessin de Mercredi Addams jouant avec une guillotine aurait été publié dans les années 40, peut-être même avant la naissance du tueur.
– L’auteur voit en l’explosion de pouvoirs de Carrie, le roman de Stephen King, une révolte face au corps devenu impur de la jeune femme…
– « Comme un adolescent attardé (et écrivant pour eux), Stephen King affectionne les expressions scatologiques »

Beaucoup d’interprétations sont tronquées pour coller à son postulat de départ : le tueur en série, tel un loup-garou, est dominé par son côté bestial. Denis Duclos y voit presque une malédiction tout ce qui a de plus poétique.

Mais ce serait limiter la folie de ces tueurs à une simple équation : violence dans l’enfance + côté lunatique = meurtre en série chez l’adulte.

Il y a de nombreux types de folies, à des degrés divers. Pour prendre comme exemple la télé ou les jeux :
– La groupie qui craque pour un acteur qui a passé beaucoup d’heures en salle de sport pour tenir un rôle de héros musclé et courageux, qui va hurler Jamie en pleine rue quand elle l’aperçoit, vit un rêve.
– Le fan hardcore de Walking Dead qui menace de mort Josh McDermitt parce qu’il campe un personnage pas très sympathique, a du mal à faire la différence entre fiction et réalité.
– Les filles qui ont tué une camarade parce que le Slenderman leur avait ordonné de le faire sont clairement tarées et mettront tout ça sur le dos de leur jeunesse naïve.
– Et que dire du tueur qui torture et assassine en toute connaissance de cause, de manière régulière et plutôt bien organisée ?

Le livre de Denis Duclos ne répondra pas à cette question, ni à celle concernant notre fascination pour la violence, il s’agit plutôt ici d’un long exposé, sur SA fascination envers les serial killers, un listing des meurtres et des films qui s’en rapprochent de près ou de très loin.

Fiche technique

Format : poche
Pages : 280
Editeur : La Découverte
Collection : Poche essais
Sortie : 10 février 2005
Prix : NC