Le cadavre du métropolitain – Avis +

Résumé

Alors que la construction du métropolitain continue de s’étendre, une femme est retrouvée étranglée dans l’une des rames d’une des rares stations. Un homme s’enfuit au même moment et l’on retrouve un carnet lui appartenant empli de notes sur la vie des bas-fonds londoniens et de leurs malandrins.

L’enquête est menée par un drôle d’inspecteur se déplaçant en vélocipède (ou comme le nomment ses collègues : en écrase-patates) qui, aidé par son bon sens, avance parmi les femmes repenties qui n’en finissent pas de trépasser.

Avis de Marnie

Nous sommes à Londres en 1864, un an après l’inauguration de la Metropolitan line. On ne croit pas encore à ces nouvelles inventions, telles que le métro (deux ans auparavant, le Times parlait d’utopie) ou le vélo, avec lequel le héros l’inspecteur de Scotland Yard, Decimus Webb, s’obstine à rouler. C’est dans ce contexte qu’a lieu le premier meurtre du métropolitain. Les crieurs de journaux s’en donnent à cœur joie, boutiquiers, petite bourgeoisie, ouvriers, domestiques et prostituées, déambulent dans ces quartiers populaires, en pleine mutation, ou une incroyable pauvreté dans laquelle subsiste la lie de la société, se confronte à l’ère moderne : chacun lutte pour obtenir une vie meilleure.

Le grand mérite de ce roman policier est de nous faire revivre la transformation de Londres, en pleine révolution industrielle. Ici, nous voyons évoluer surtout les survivants d’une époque, sortis tout droit d’Oliver Twist qui serait revisité par Zola. Les clins d’œil à l’œuvre de Dickens sont nombreux : ainsi, le petit escroc, Tom Hunt, souteneur de son épouse Lizzie, la mère de cette dernière, Agnès, droguée au laudanum qui cherche à s’échapper du foyer pour femmes repenties, dans lequel elle a été placée, ou encore Bill, le cousin de Tom, un des ouvriers du métropolitain. Tout ce petit monde évolue avec pour point commun : la jeune Clara White, qui mène une vie honorable de domestique au service du bon Docteur Harris et de son épouse, une femme très dure.

Les portraits sont hauts en couleur. Lee Jackson ne recherche pas l’émotion, mais une peinture sociale. Le regard acéré de Decimus Webb complète les jugements à l’emporte pièce de son acolyte le sergent Watson, lui-même revenu de tout. Qu’importe s’ils trouvent la résolution de l’énigme de façon quelque peu rocambolesque, tout cela n’est qu’un prétexte pour décrire ces quartiers miséreux qui vont peu à peu disparaître, victimes des constructions et du progrès. La réflexion n’est pas ce que privilégie l’auteur, même si l’intrigue est en fait astucieuse. Lee Jackson nous apporte la solution un ou deux chapitres avant les protagonistes, pour mieux nous démontrer que connaître l’identité de l’assassin n’a en fait pas une grande importance. Attardons-nous principalement sur ce qui semble passionner l’auteur : les réactions épidermiques des personnages, emportés par leur propre destin, préoccupés par la nourriture et leur logement, sans réfléchir au lendemain, leur seul choix étant de survivre ou de mourir.

En cela, le personnage de Clara White est exemplaire. Domestique consciencieuse et capable, elle risque sa place pour procurer à sa mère, une ancienne prostituée, un médicament. Il lui est presque trop facile de retomber dans son ancienne vie. Comme Oliver Twist, cette femme devra couper tout lien (que ce soit de son fait ou non) avec le quartier misérable de son enfance, pour avoir la chance de mener une autre vie. Mais pour cela, la chance, il faut l’arracher à la mort !

Même si j’ai regretté l’aspect superficiel, l’auteur privilégiant les sensations bien plus que les sentiments, j’ai apprécié tout particulièrement le style du roman, écrit avec une gouaille pleine de panache, comme si les mots émanaient de la bouche d’un conteur, qui évoque par exemple le monstre sortant du tunnel, pour décrire ces nouveaux trains, ou encore un vélocipédiste (le héros Decimus Webb est même surnommé Casse-Patates). Le ton est celui d’un montreur de foire (ou plutôt celui de Monsieur Loyal interprété par Peter Ustinov, présentant Lola Montes dans le film du même nom), mais le vocabulaire est choisi avec soin afin de tenter de transposer la couleur et le chaos de ces quartiers grouillants de vie et d’activités, la vie côtoyant la mort…

Avis de Valérie

Les romans victoriens écrits par des femmes ont une couleur particulière emplie par l’introspection des protagonistes à une époque qui conjugue les progrès sociaux avec le rigorisme moral ambiant. Les costumes et l’environnement ont une importance de choix et permettent d’en brosser un portrait pertinent. Lee Jackson nous donne une bonne leçon puisqu’il change tous les codes habituels usés par ses confrères pour narrer une histoire tout aussi touchante mais totalement différente.

Son premier parti-pris est de ne faire se détacher aucun personnage sur lequel le lecteur puisse s’appuyer où comme repère où comme projection personnelle. Même l’inspecteur Decimus Webb n’a pas l’heur de plaire aux regards de l’auteur, et seul un personnage récurrent sert de fil d’Ariane tout au long de l’intrigue.

La narration se fait à la troisième personne, d’une manière assez originale puisqu’elle nous renvoie à la voix off d’un film des années 50, légèrement baroque, scandés avec une certaine emphase. On pense, par exemple, à Sacha Guitry commentant l’un de ses films.

Lee Jackson découpe son roman en chapitres et scènes, comme pour un scénario, en indiquant à chaque début le lieu et l’heure où le personnage évolue. Cela lui permet de ne pas perdre de temps à remettre en place ses actions et évite au lecteur d’avoir à feuilleter les pages précédentes.

Si l’on peut tout d’abord être surpris, on est rapidement séduit et entraîné à la suite des enquêteurs sans jamais savoir qui se cache derrière la main du meurtrier. Et si la fin semble un peu rapide pour expliquer chaque noeud du roman, on termine notre lecture sur une note de trop peu ce qui nous pousse à nous précipiter sur le tome suivant que l’éditeur a eu la bonne idée de publier en même temps !

Fiche Technique

Format : poche
Pages : 285
Editeur : 10/18
Collection : Grands détectives
Sortie : 5 avril 2007
Prix : 7,30 €