Le rêve de Cassandre – Avis +

Résumé

Sur un coup de cœur, deux frères s’offrent un voilier qu’ils baptisent Cassandra’s Dream. Une vraie folie car ni l’un ni l’autre n’ont réellement les moyens d’assumer ce signe extérieur de richesse.

Terry travaille dans un garage tandis qu’Ian dirige le restaurant de leurs parents. Lorsque le premier est confronté à une importante dette de jeu et que le second s’éprend d’Angela, ambitieuse comédienne de théâtre, ils sont obligés de solliciter l’aide de leur oncle Howard qui a fait fortune en Californie.

En contrepartie de son solide coup de pouce financier, il leur demande de lui rendre un petit service.

Avis de Luc

De façon inhabituelle, je suis allé à la séance du samedi soir pour aller voir Le rêve de Cassandre et, à ma grande surprise, les jeunes étaient en majorité ! Qu’ils découvrent Woody Allen me ravit. De quoi s’agit-il ?

Woody Allen termine sa trilogie londonienne en beauté. Le rêve de Cassandre est un film noir et terrible, ancré sur le thème de la culpabilité cher au réalisateur. Les deux frères veulent se sortir de leur condition qu’ils jugent misérable et le résultat est atroce. Le long métrage commence comme un film social anglais type Mike Leigh ou Ken Loach, avec des (anti)héros venant de couche populaire, ce qui est une réelle nouveauté chez Woody Allen et se termine en drame comme le superbe Match point réalisé deux ans plus tôt.

Les deux acteurs qui incarnent les frères sont remarquables dans un registre inhabituel : Ewan McGregor a laissé son costume d’Obi-Wan Kenobi (de Star wars) pour revenir dans un rôle qu’on lui connaissait au début quand il tournait dans les comédies noires anglaises (Petits meurtres entre amis, Les virtuoses). Quant à Colin Farrell, il revient sur terre après son rôle de Alexandre pour camper une petite frappe hanté par la culpabilité. Woody Allen leur fait un beau cadeau en leur permettant de revenir à la source de leur talent.

Conclusion : le diamant noir de cette année. Génial !

Avis de Marielle

Troisième volet de la trilogie londonienne de Woody Allen : histoire de deux frères d’un milieu modeste londonien ; l’un, le plus jeune, employé dans un garage, connaît de graves problèmes financiers à cause de sa passion du jeu, l’autre, qui gère le restaurant familial, aspire à une vie de luxe. Tous deux achètent un bateau qu’ils appellent Le rêve de Cassandre.

L’aîné tombe amoureux d’une belle comédienne à qui il fait entrevoir une vie bien au-dessus ce qu’il peut lui offrir. Leur « oncle riche d’Amérique » leur promet de les aider mais en échange leur propose un marché qui pose de terribles problèmes de conscience au plus jeune mais ils finissent tous deux par accepter.

Le thème du film est, comme dans Match Point, la question du choix : accepter une vie médiocre, faire face aux problèmes quotidiens, ou réaliser ses rêves quitte à vendre son âme au diable qui est un maître de plus en plus exigeant, et en subir les conséquences.

Les comédiens sont remarquables, bien dirigés, le rythme du film nous permet de sentir l’évolution des sentiments et remords. Bien que très noir, j’ai beaucoup aimé ce film poignant. Woody Allen est toujours aussi talentueux et l’âge ne lui fait pas perdre son art. La fin, bien que tragique, permet de défaire toutes les tensions. A voir.

Avis d’Enora

Dernier opus de la trilogie londonienne, Cassandra’s Dream fait partie de la période beige de Woody Allen comme le titrait François Forestier dans le Nouvel Observateur à la suite d’une interview de l’artiste : « Oui, mes trois derniers films ne sont pas des comédies. Je suis dans une phase grise…Non, disons beige ». Loin des comédies new-yorkaises, nous sommes effectivement ici dans une sorte de tragédie grecque à laquelle renvoie le titre du film, Cassandra’s dream, nom que les deux frères ont donné à leur voilier.[[Cassandre, la plus belle fille du roi Priam a été condamnée par Apollon à voir l’avenir sans jamais pouvoir convaincre ; ne se contentant pas de prévoir le malheur, elle le répand, la mort frappant inéluctablement tous ceux qui la courtisent.]] « L’idée de ce film est très ancienne, mais je n’y ai mis aucune référence particulière. J’y vois toutefois par certains côtés des connivences avec la tragédie grecque, même s’il ne s’agit là que d’une impression générale » explique Woody Allen.

De plus le personnage de Terry semble sorti tout droit d’un roman de Dostoïevski. Des Frères Karamasov d’abord, pas tant par la tension et l’incompréhension qui va s’installer entre lui et son frère que par les questions qu’il se pose et qui renvoient à l’une des interrogations centrales du roman de Dostoïevski « Existe-t-il une morale si Dieu n’existe pas ? » et de Crime et Châtiment, bien sur, il y a du Raskolnikov dans le personnage d’Allen , dans son tourment, ses remords et son impossibilité à supporter ce qu’il a fait. « Quiconque a lu les romans russes ne peut qu’en subir l’influence. C’est impossible d’y échapper. » avoue le réalisateur

Allen et les femmes : dans ce film, les rêves sont l’apanage des hommes et les femmes sont tristement matérialistes. Le père s’accroche à son rêve de toujours, son restaurant ; Ian lui aimerait être un homme d’affaires à la tête de plusieurs hôtels sur la côte californienne et Terry s’échappe de la réalité en jouant aux courses et au poker. La mère, elle, n’a d’éloges que pour la réussite financière de son frère, la fiancée de Terry veut devenir propriétaire de sa maison et celle d’Ian est prête à tout pour percer dans sa carrière d’actrice. On pense à un autre new-yorkais Jay McInerney qui faisait dire à l’un de ses personnages dans Trente ans et des poussières : « Les femmes sont prudentes. Les hommes sont les grands romantiques, les rêveurs et les fous. Les femmes sont réalistes comme Jane Austen ».

La prestation de Colin Farrell dans le rôle du frère un peu balourd, empêtré dans sa sensibilité et ses tourments éclipse celles d’Ewan McGregor et de Tom Wilkinson. Malmené par la vie (son fils de quatre ans est atteint du syndrome d’Angelman), perdu dans la tourmente hollywoodienne (il venait juste de sortir d’une cure de désintoxication pour le tournage) assassiné par les critiques (depuis l’Alexandre d’Oliver Stone), Farrell qui oscille entre tragique et comique dans la première partie du film, pour finir miné par la culpabilité, montre ici tout son talent.

« I’ve always felt that life itself, and this is no brilliant observation, is a tremendously tragic event, I mean a real mess » [[J’ai toujours pensé que la vie, et ce n’est pas une observation brillante de ma part, n’est qu’un énorme événement tragique, je veux dire un vrai merdier)]] dit Woody Allen dont l’ironie se teinte d’amertume avec l’âge. Plus noir que Match Point car ici il n’y a pas de rédemption et que comme dans la tragédie grecque le dénouement se solde par la mort d’un ou plusieurs personnages, Cassandra’s dream reprend le thème de l’ambition et de la revanche sociale, pose la question de la limite, introduit Dieu (si ! si ! on y retrouve plusieurs références bibliques) et analyse parfaitement la spirale de la culpabilité et ses conséquences mortifères.

Fiche Technique

Titre original : Cassandra’s Dream

Durée : 1O8 minutes

Avec Colin Farrell, Ewan McGregor et Tom Wilkinson

Woody Allen a confié la BO du film à Philip Glass (The Hours, The Truman Show, Kundun…)