Les Mensonges de l’esprit – Avis +

A l’évidence, le commissaire luttait pour garder son sang froid, et il dut prendre une profonde inspiration. Un vaisseau sanguin se gonfla sur sa tempe et l’inspecteur y décela les battements accélérés d’un coeur furieux.
– Est-il vrai que vous avez accusé mon neveu d’avoir torturé Thomas Zelenka? demanda le commissaire en maîtrisant sa voix d’une façon inaccoutumée.
L’espace d’un instant, Rheinhardt songea à simuler un évanouissement. Il lui suffisait de détendre ses muscles et de laisser son corps replet glisser de la chaise. On le transporterait alors en brancard à l’infirmerie où il pourrait se reposer, peut-être dormir, voire rêver d’une randonnée au Tyrol…

Une fois de plus l’inspecteur Rheinhardt se retrouve avec une affaire délicate sur les bras. La prestigieuse école militaire de Saint-Florian forme les adolescents destinés à devenir l’élite de l’empire austro-hongrois. Elle est aussi le théâtre d’une mort mystérieuse. L’autopsie constate que le décès est apparemment dû à une mort naturelle. Mais comme le corps présente visiblement des traces de sévices, Rheinhardt estime qu’il est de son devoir de poursuivre l’enquête.

Ce n’est, bien entendu, pas l’opinion du commissaire Brügel qui lui ordonne de cesser l’enquête. Le fait que l’un des suspects soit son cher neveu n’est absolument pas le motif de sa décision. Certes, l’hypothèse que son neveu soit un assassin ou un tortionnaire est proprement absurde. Mais ce n’est vraiment pas le motif de l’arrêt de l’enquête, bien sur que non, absolument pas… Bref, le commissaire Brügel a une autre tâche à confier à l’inspecteur Rheinhardt. Il le place sous les ordres de son ennemi personnel l’inspecteur Von Bullow pour une enquête tout aussi délicate que la précédente. Il s’agit d’effectuer une simple mission de surveillance. Mais l’inspecteur Rheinhardt n’en saura pas plus. Lorsqu’on se retrouve plongé dans le monde de l’espionnage il convient de ne pas avoir trop de choses à révéler au cas où il serait capturé et interrogé par l’ennemi.

Parallèlement, le docteur Liebermann poursuit ses activités de psychiatre. Certes, grâce à ses connaissances dans l’interprétation des rêves et ceux des tests de Rorschach, il a pu éclairer la première enquête de son ami. Les informations recueillies ne sont cependant pas exploitables, car officiellement il ne s’est produit aucun assassinat à Saint-Florian, sans oublier les affirmations habituelles de l’inspecteur Von Bullow selon laquelle la psychanalyse est une science typiquement juive.

Il reste à Rheinhardt à discuter avec Sigmund Freud des vertus de la cocaïne, de déguster de l’absinthe et de poursuivre ses… relations sociales. Ces dernières semblent atteindre un processus inhabituel. En homme de sciences avisé, le docteur Rheinhardt se livre à un auto-diagnostic : il est amoureux. La jalousie alterne aussitôt avec une liaison torride (à signaler une discussion avec Sigmund Freud sur les différents types de jalousie pathologique). Pendant ce temps assassins, tortionnaires et espions ont fait de la Vienne de 1903 leur terrain de chasse.

Ce troisième volume des carnets de Max Liebermann met l’accent sur l’inspecteur Rheinhardt qui n’est plus le Watson de Liebermann, mais un inspecteur compétent. Si son savoir académique est certes inférieur à celui de Liebermann, il démontre qu’il possède ce qu’il faut bien appeler l’instinct du policier, parfaitement capable de détecter la malfaisance chez un jeune élève destiné à devenir l’élite de la nation.

Le romancier (également docteur en psychologie, spécialisé dans les troubles obsessionnels) profite de ce thriller historique pour nous présenter de nouvelles facettes de la psychologie des peuples germaniques de cette époque. Ainsi la persécution des élèves des minorités ethniques est un phénomène très bien accepté pour la majorité du corps enseignant. Et surtout on trouve chez les xénophobes une interprétation détournée de la philosophie de Nietzcshe, comme ce maître-chanteur détenant des pièces à conviction et s’appuyant sur Nietzsche qui a affirmé qu’on ne détenait jamais assez de puissance. Trente ans plus tard les nazis altéreront la pensée de Nietzsche qui pourtant s’opposerait à la « balourdise aryenne ».

Le droit international, la diplomatie et la philosophie n’ont rien pu contre le nazisme. Il fallut une solution similaire à laquelle a recours un des élèves de Saint-Florian confronté à des persécuteurs racistes : frapper fort.

Les personnages principaux ne sont pas les seuls qui connaissent une évolution psychologique. Frank Tallis évoque également de nombreux personnages secondaires. Confronté à la tragédie et à la mort certains continuent de faire le mal sereinement, tandis qu’un autre se réveille et réagit. On remarquera qu’il est le seul.

Fiche Technique

Format : poche
Pages : 420
Traduction : Michèle Valencia
Editeur : 10/18
Collection : Grands détectives
Sortie : janvier 2008
Prix : 8,60 euros