Les Rois Maudits

Durant ces règnes, l’adultère d’une reine et les ambitions d’un régent apportent l’invention d’une « loi salique » qui exclue les femmes de la succession. Quand le dernier des frères meurt, la loi qui lui a permis de monter sur le trône interdit à ses filles de lui succéder. L’héritier le plus proche est le dernier petit-fils vivant du roi de fer, fils d’Isabelle (la Louve de France) et ce petit-fils est Edouard III le roi d’Angleterre !

Sans doute plus pour des raisons d’intérêts personnels que par pur patriotisme, les pairs de France préfèrent donner la couronne à la branche cadette des Valois, c’est-à-dire au cousin plutôt qu’au neveu … Pour justifier cette nouvelle transgression, on aggrave la « loi salique » : non seulement les femmes ne peuvent succéder, mais elles ne peuvent pas transmettre de droits à la succession ! En moins de quinze ans, l’arbre capétien a été foudroyé. Le roi de France ne l’est que par un peu confortable bricolage juridique et au détriment des puissants rois d’Angleterre et de Navarre. C’est là que sont les prétextes (plus que les causes réelles) du futur embrasement de la Guerre de Cent Ans.

Les héritiers du roi de fer

À la fin de la vie de Philippe le Bel, la succession du roi de fer ne semble poser aucun problème : il a trois fils adultes (Louis le roi de Navarre, Philippe le compte de Poitiers et Charles le compte de la Marche), bien plus que nécessaire pour assurer la pérennité d’une dynastie. Il a aussi une fille, Isabelle la Louve de France qui est mariée au faible roi d’Angleterre Edouard II.

Les brues du roi de fer

Malheureusement, Marguerite et Blanche de Bourgogne (respectivement femmes de Louis et Charles IV) sont convaincues d’adultère auprès de deux écuyers, avec la complicité probable de Jeanne de Bourgogne (femme de Philippe). Marguerite et Blanche de Bourgogne prennent les frères d’Aunay pour amants. Philippe le Bel, qui attend des membres de la famille royale une conduite irréprochable et qui refuse qu’une princesse soit traitée avec plus d’indulgence qu’une paysanne, n’étouffe pas l’affaire et fait au contraire un procès retentissant.
Avril ou mai 1314 : Arrestation de Marguerite, Jeanne et Blanche. Jugement de Maubuisson. Au jugement de Maubuisson, il condamne Marguerite et Blanche à l’emprisonnement dans un cachot de la sinistre forteresse de Château Gaillard (près des Andelys), et Jeanne à une réclusion moins dure au donjon de Dourdan.
Ce jugement aura des conséquences graves car d’une part, leurs femmes étant emprisonnées, les princes n’ont pas de nouveaux enfants, et d’autre part Jeanne, la fille de Louis de Navarre et Marguerite, sont suspectées d’illégitimité. Jeanne de Bourgogne pourra se justifier, reviendra en grâce et sera reine de France. Marguerite mourra en prison. Blanche après dix ans de cachot finira ses jours dans un couvent. 5 decembre 1314 : Retour de Jeanne de Bourgogne à la cour.
14 août 1315 : Mort de Marguerite de Bourgogne, première femme de Louis X.

Une malédiction?

En moins d’un an, le garde de sceaux Guillaume de Nogaret (qui a instruit le procès des Templiers), le pape Clément V (qui a dissous l’ordre) et le roi Philippe le Bel sont morts. Le Grand-Maître des Templiers (Jacques de Molay) a-t-il réellement jeté une malédiction du haut de son bûcher à l’encontre de ses trois bourreaux? Ou plus simplement ces morts rapprochées ont-elles frappé les esprits et suscité une légende ? Toujours est-il que le mauvais sort semblera désormais s’acharner sur la famille régnante et la France, donnant aux successeurs de Philippe le Bel le surnom de « rois maudits ».
1313 : Mort du garde des sceaux Guillaume de Nogaret.
18 mars 1314 : Execution du Grand Maître des Templiers Jacques de Molay.
20 avril 1314 : Mort du pape Clément V.
29 novembre 1314 : Mort de Philippe le Bel à Fontainebleau. Avénement de Louis X.
À la mort de Philippe le Bel, la petite monarchie capétienne est devenue une grande dynastie, qui dirige de manière incontestable le pays le plus riche, le plus peuplé, le mieux organisé et le plus prestigieux de l’Europe. Le roi laisse trois fils, bien plus que nécessaire pour assurer sa succession. La France apparaît inattaquable. Et pourtant ! L’époque tant décriée de ce roi apparaîtra comme à un âge d’or aux générations suivantes qui, après les Rois Maudits, auront à endurer les malheurs de la seconde guerre de Cent Ans.

Louis X le hutin

Louis X règne à peine deux ans, ce qui est assez pour méfaire… Il commence par renvoyer les légistes de Philippe le bel, et fait en particulier exécuter Marigny, le principal ministre de Philippe le Bel.
3 avril 1315 : Enguerrand de Marigny est pendu au gibet de Monfaucon.
Son gouvernement est inspiré par Charles de Valois (frère du roi de fer et ancêtre de la branche des Valois), tête de file des grands vassaux auxquels il octroie une Charte leur rendant les prérogatives ôtées par Philippe le bel.
Louis X se ruine dans une expédition coûteuse et inutile en Flandres. Il tente de faire élire un pape pour annuler son premier mariage (avec Marguerite de Bourgogne), mais sans succès (après la mort de Clément V, les cardinaux ne sont pas empressés d’élire un nouveau pape en Avignon). Cette dernière meurt fort opportunément dans des circonstances étranges (assassinat?).
14 août 1315 : Mort de Marguerite de Bourgogne, première femme de Louis X. Louis X se remarie avec Clémence de Hongrie. Il meurt de façon soudaine et suspecte (empoisonnement ?), laissant comme seule héritière Jeanne, une fille suspectée d’illégitimité (car fille de Marguerite de Bourgogne, la reine adultère). La reine Clémence est alors enceinte.
5 juin 1316 : Mort de Louis X. Philippe de Poitiers devient régent.

Jean Ier le posthume et le régent

Depuis Hugues Capet, tous les rois capétiens avaient laissé un fils pour leur succéder. À sa mort, Louis X ne laisse qu’une fille (Jeanne) issue de son premier mariage, mais sa seconde femme (Clémence de Hongrie) est enceinte.
Jeanne est écartée car supposée illégitime à cause de l’adultère de sa mère (on lui donne la Navarre, que la France ne récupérera qu’avec Henri IV). Philippe de Poitiers (frère de Louis X) fait élire un pape (Jean XXII), prend le palais de la cité d’assaut et obtient la régence.
15 novembre 1316 : Naissance de Jean Ier, fils posthume de Louis X le hutin. Le bébé est un garçon, Jean. Il meurt au bout de quelques jours.
20 novembre 1316 : Mort de Jean Ier, compté parmi les rois sans avoir été ni majeur ni sacré. Avénement de Philippe V.
9 janvier 1317 : Sacre de Philippe V le long. Philippe de Poitiers se fait sacrer roi et a posteriori justifie ce coup d’Etat par une interprétation erronée de la « loi salique » (loi des francs saliens de Clovis) créant un précédent qui interdit aux femmes de coiffer la couronne de France. Ce principe successoral est entériné à la Chandeleur 1317 par une assemblée de notables.
2 février 1317 : La «Loi Salique» est confirmé par une assemblée comme règle successorale de la France.

Philippe V le long

Il renoue avec la politique de son père et rappelle aux affaires les légistes de Philippe le bel.
Il met en oeuvre de nombreuses réformes comme une tentative d’unification des poids et mesures et des monnaies (et donc limitation du pouvoir des seigneurs qui pouvaient frapper la monnaie). Il édicte aussi une loi qui décrète inaliénable le domaine royal. C’en est donc fini du morcellement du domaine entre les enfants du roi.
24 decembre 1317 : Mort du sénéchal de Joinville à 93 ans.
3 janvier 1322 : Mort de Philippe V le long sans héritier mâle. Avenement de Charles IV le bel.A sa mort, il ne laisse que des filles. La loi qu’il a inventée pour monter sur le trône empêche ces dernières de lui succéder. La couronne passera donc à son frère Charles, comte de la Marche (troisième fils de Philippe le bel).

Le dernier capétien direct

Charles IV le bel écarte à son tour toutes ses nièces pour monter sur le trône grâce à la loi salique (oubliant bien vite avec quelle force il l’avait décriée quand elle avait permis à son frère de monter sur le trône).
Son gouvernement est inspiré par Charles de Valois (jusqu’à la mort de ce dernier). Il tente de reprendre la Guyenne aux anglais : au siège de La Réole, les canons sont utilisés pour la première fois en Occident par Charles de Valois.
juillet 1324 : Occupation de l’Aquitaine par Charles de Valois.
1325 : Fondation de Tenochtitlan (Mexico) par les Aztèques.
1325 à 1355 : Le riche explorateur musulman Ibn Battuta voyage à travers l’Afrique, l’Arabie, le sud de la Russie, l’Inde et même la lointaine Chine.
23 janvier 1327 : Le roi Edouard II d’Angleterre est contraint d’abdiquer en faveur de son fils, Edouard III.
1327 : Londres devient officiellement capitale de l’Angleterre.
1327 : Année où se situe l’action du film « Le nom de la rose ».
1er février 1328 : Mort de Charles IV le bel. À sa mort, Charles IV n’a eu que des filles (malgré trois mariages). La reine Jeanne est enceinte, mais accouche finalement d’une fille (Blanche).
1er avril 1328 : La reine Jeanne accouche d’une fille. Charles IV n’a pas de descendant mâle.
1er mai 1328 : Traité de Northampton : l’Angleterre reconnaît l’indépendance de l’Ecosse. À cause de la loi salique, un grave problème de succession se pose.

Le roi trouvé

À la mort de Charles IV, trois compétiteurs se disputent la couronne.
Philippe d’Evreux, le roi de Navarre : Fils de Louis d’Evreux (et donc petit-fils de Philippe III), il a épousé sa cousine Jeanne de Navarre (fille de Louis X, écartée du trône par Philippe V). Il possède donc, entre autres territoires, le royaume de Navarre et le comté d’Evreux (si proche de Paris!). À la mort de Charles IV, il revendique la couronne au nom des droits de sa femme (qu’on a jadis fort étrangement jugée suffisamment légitime pour régner sur la Navarre et suffisamment illégitime pour ne pas régner sur la France). Cependant, la loi salique ayant été entérinée comme loi successorale en France, Philippe ne peut qu’être écarté car son accession au trône remettraient en cause la légitimité (et donc la validité des actions) des règnes de Philippe V et Charles IV (rois sacrés et oints). Philippe d’Evreux est le père du sinistre Charles le Mauvais.
Edouard III, le roi d’Angleterre : il est le fils d’Edouard II et d’Isabelle de France (dernier enfant vivant de Philippe le Bel). À la mort de Charles IV, il est le plus proche héritier mâle de la couronne de France (donc celui qui a objectivement les droits les plus valables). Deux obstacles le séparent du trône : un peu le patriotisme français qui refuse un roi anglais (bien que la noblesse anglaise soit de langue et de culture française : descendants des normands de Guillaume le Conquérant, augmentés des angevins des Plantagenêts), mais surtout la peur de la régence de la reine Isabelle (dépravée, autoritaire et dominée par son amant Lord Mortimer – qu’il est loin le temps où Isabelle dénonçait ses belles-soeurs adultères!), que les barons français ne veulent en aucun cas subir comme les barons anglais!

Philippe, le comte de Valois : Il est le fils du comte Charles de Valois. Prenant la suite de son père, il est le chef de file des grands féodaux. Pour les grands féodaux que sont les pairs de France, son choix n’a que des avantages, dont le principal est qu’il leur devra tout et ne pourra rien leur refuser… Pour sortir de l’impasse, on se rappellera soudain que la monarchie française est en théorie élective, et les pairs éliront le comte de Valois qui régnera sous le nom de Philippe VI de Valois, le roi trouvé (c’est-à-dire le parvenu).
29 mai 1328 : Sacre de Philippe VI de Valois, le roi trouvé.
Pour débouter Edouard III de ses droits, on invoquera une nouvelle fois la loi salique : non seulement les femmes ne peuvent régner, mais elles ne peuvent même pas transmettre de droits à la couronne. Encore une fois, la règle successorale est établie sur un cas d’espèce. Edouard III laissera faire (il n’est pas en position de s’imposer), mais réclamera la couronne en représailles chaque fois que ses possessions françaises (Guyenne) seront menacées. Cette crise de succession servira plus tard de prétexte (et non de véritable cause) à la Guerre de Cent Ans.