Les Schtroumpfs : une théorie chasse l’autre… Schtroumpfant !

Au cours d’une discussion qui tournait autour de l’univers des Schtroumpfs, il m’est apparu, [[n’est-ce pas et merci David?!]] que toutes les accusations pouvaient être lancées à l’encontre des petits hommes bleus, les idées allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par le racisme, l’homophobie… Or, il est franchement amusant de s’apercevoir que l’organisation interne et la dynamique des Schtroumpfs, l’année où l’on célèbre le cinquantenaire de la célèbre bande-dessinée, provoque ainsi un tel vent de passion. Est-ce que nos charmantes petites têtes blondes peuvent continuer de lire des histoires si subversives ? Est-ce que l’expression «charmantes petites têtes blondes» n’est pas déjà raciste en soi ? C’est le même problème pour les Schtroumpfs, si l’on commence à se poser la question de savoir pourquoi Peyo a choisi la couleur bleue, nous n’avons pas fini de crier au loup !

Replaçons déjà cette bande-dessinée dans son contexte. Il existe très peu de précisions sur la mentalité et les opinions de Peyo (Pierre Culliford) dessinateur belge, né en 1922, décédé en 1992 et qui développa un atelier d’écriture pour mieux se consacrer au succès croissant de ses petits hommes bleus. Le pays maudit, où se situe le village des cent Schtroumpfs, fait son apparition en 1958 dans un album de la série Johann et Pirlouit intitulé La flûte à six Schtroumpfs, aventures médiévales qui selon les récits font plus ou moins référence à des contes et légendes et permettent de timides incursions dans la fantasy. Le succès est tel que Peyo leur consacre un album… leur célébrité deviendra mondiale. La forêt inquiétante et inhospitalière va très vite se transformer en petit paradis !

Peyo étant plus ou moins considéré comme un anarchiste, la théorie la plus répandue c’est que le village des Schtroumpfs est en fait une allégorie plus ou moins évidente du marxisme. Du haut de ses 542 ans (les autres n’ont qu’une centaine d’années), le grand Schtroumpf n’est jamais contesté. Lorsqu’il s’absente, c’est souvent le chaos. Chaque Schtroumpf se définit par sa fonction (bricoleur, boulanger, paysan etc…). Le travail manuel est privilégié, l’intellectuel étant raillé et méprisé (le Schtroumpf à lunettes), l’art souvent incompris ou moqué (poète, musicien…). Il n’y a pas d’état, mais un chef révéré dont la parole fait loi, pas de classe sociale, tous les petits hommes bleus étant égaux, pas de privilégiés, mais également pas d’individualité, ce qui est parfaitement utopique d’où les limites d’une telle société.

Ainsi, dans le deuxième album, Le schtroumfissime, Peyo montre les mécanismes du pouvoir. Le grand Schtroumpf est obligé de quitter le village, il suffit de peu de temps pour que suite à des élections placées sous le signe de la démagogie, peu à peu la dictature s’installe, une armée est créée, on enferme les opposants… Bien évidemment, le retour du grand Schtroumpf arrangera tout, le message subliminal (mais souvent explicite) est que ce qui fonctionne chez les humains, ne marche pas chez les petits hommes bleus. Cette remarque sera reprise dans le Schtroumpf financier où l’on reprend cette fois-ci les mécanismes du capitalisme… Les relations, les rapports entre les petits hommes bleus évoluent et se transforment inexorablement lorsque l’on introduit cette drôle de valeur qu’est la monnaie dans leur existence. Alors, le grand Schtroumpf aura beau jeu de dire, méprisant, que cette société « humaine » ne peut être transposée chez les Schtroumpfs. Souvent d’ailleurs, profitant d’une absence momentanée du grand Schtroumpf, livrés à eux-mêmes, nos petits hommes bleus adoptent des pratiques humaines qui les mènent à la catastrophe, et au final abandonnent ce qui les a mené presque à leur perte… Nous nous souvenons alors du film Les dieux sont tombés sur la tête, avec le Bushman qui cherche à emmener le plus loin possible de chez lui la bouteille de Coca Cola qui a semé la graine de la zizanie dans son village.

Le point de départ des diverses polémiques qui ont circulé sur internet est la plainte émise par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) qui dénonce ainsi : «Toute la théorie maurassienne est dans cette histoire que l’on pourrait croire extraite de livres pour enfants édités sous l’Occupation» Droits et liberté. Alors quand on voit ces petits hommes azurs unissant leurs forces pour lutter contre l’invasion de petits hommes noirs… que le méchant Gargamel, homme vêtu de noir, coiffé un peu comme un moine, au nez crochu, à la recherche de la pierre philosophale (le contrôle de la fabrication de l’or et donc le pouvoir absolu) va à des réunions d’alchimistes où les symboles ésotériques font étrangement penser à la franc-maçonnerie, où le chat roux (sorcelleries du moyen-âge) prénommé Azraël (ah ? Israël n’est pas loin là) est lui aussi l’ennemi absolu des Schtroumpfs, on peut également se poser des questions…

Ce qui est étrange, c’est ce que moi j’ai vu dans ce petit village perdu au coeur d’une forêt touffue, un petit monde refermé sur lui-même… en fait exactement comme dans un “shtetl” (mot yiddish qui définit les anciens villages de Juifs en Russie ou en Pologne) avec le grand Schtroumpf qui a réponse à tout, l’autorité suprême acceptée et respectée par tous (un rabbin) et chacun avec sa propre fonction, son utilité pour aider à la survie des autres, tous ces gens vivant en autarcie sans contact avec l’extérieur, y compris le Schtroumpf à lunettes qui pérore (l’étudiant de la Torah ou du Talmud).

Donc que penser, que croire ? Il existe tout de même certaines évidences. Ainsi, l’album Schtroumpf vert et vert Schtroumpf nous parle des problèmes entre Wallons et Flamands, ou encore la misogynie plus qu’apparente dans La schtroumfette, la femme qui dérègle la perfection de cet univers asexué. D’ailleurs elle sera chassée à la fin comme Eve l’est du Paradis terrestre. La Schtroumpfette est même conçue comme un plan diabolique de Gargamel pour détruire le village ! D’autres précisent pour expliquer l’absence de sexualité que les Schtroumpfs sont plus enfants qu’adultes… ils s’amusent beaucoup, participent ou organisent des fêtes, et ne travaillent que pour survivre mais ne vivent que pour le plaisir et sont donc purs et innocents ! Un peu absurde comme théorie si l’on pense à la cruauté dédits enfants…

Passons à l’élément qui dérange le plus : Le Schtroumpf noir. Piqué par une mouche BZZZ, un Schtroumpf devient noir, ne peut qu’éructer « gnap » et se met soudain à contaminer ses petits copains en leur mordant la queue. C’est évident qu’il existe une vraie homophobie latente chez les Schtroumpfs. Le Schtroumpf coquet est un cliché efféminé. A cela s’ajoute qu’il est en effet gênant que la maladie soit transmise par ce contact bucco-caudal. Résumons, les méchants sont donc noirs, et en plus se mordent la queue ce qui entraîne maladies transmissibles, marginalisation (tout le monde les fuit). On ne peut plus leur parler, la maladie se transforme en épidémie, et vient alors la mort. Il y a même un Schtroumpf noir qui se déguise en bleu… Méfions-nous, en plus ils cachent leur jeu les bougres : ils sont partout !

Honnêtement, dans toute la littérature dite enfantine, ou pour adolescents, nous retrouvons ces opinions, qu’il faut replacer dans le contexte de l’époque. Ainsi les romans de la comtesse de Ségur constituent un vivier d’idées racistes, antisémites, et de jugements sur ce qu’une petite fille a le droit ou non de faire, alors que les garçons, bien évidemment… Tintin est un vrai symbole d’une époque colonialiste et certains des albums sont ouvertement traités de racistes. Alors, doit-on brûler tout ce que la morale actuelle réprouve ? Bien évidemment, non ! Je me souviens de ma mère qui me donnant Les malheurs de Sophie, m’a gentiment mise en garde contre certaines idées qu’elle jugeait choquantes, j’ai ensuite lu en toute connaissance de cause. Bon, j’avais cinq ans, mais je promets que j’ai saisi ce contre quoi elle m’avait prévenu, enfin je crois ! Je me souviens surtout de cette horrible gamine qui découpe des poissons vivants en morceaux !