Masque de sang – Avis +

Présentation de l’éditeur

Riche et fantasque mécène, Drew Hildebrand provoque le scandale en organisant une exposition de « bio-art » qui présente fœtus et masques de sang humain, dont un à sa propre effigie. Est-ce pour cette raison qu’elle disparaît de sa propriété au bord de l’Hudson ? Seul indice sur les lieux : un crucifix. Et seul témoin : sa nièce, retrouvée à demi-nue dans un parc, sous l’emprise du « crystal meth », et dont les terrifiantes hallucinations l’empêchent d’aider la police.

Un suspense subtil et diabolique servi par la plume d’un des plus grands auteurs américains, qui propulse le lecteur sur la scène underground new-yorkaise et propose une réflexion singulière sur l’art contemporain.

Sous le pseudonyme de Lauren Kelly, la grande romancière américaine Joyce Carol Oates, Prix Femina en 2005 pour Les Chutes, poursuit en parallèle une carrière d’auteur de suspense. Masque de sang est le troisième suspense publié sous ce nom aux Éditions Albin Michel.

Avis de Lady Clare

L’œuvre de Joyce Carol Oates force le respect. Auteur de plus de soixante-dix œuvres, dans tous les genres, du roman à l’essai en passant par les pièces de théâtre, la littérature jeunesse ou la poésie, elle trouve encore le temps de nous surprendre en écrivant derrière des pseudonymes, comme celui de Lauren Kelly.

Son roman nous plonge dans le monde très particulier du bio-art, un mouvement artistique ultra-dérangeant, né dans les années 90, qui propose un questionnement inédit sur la nature et l’évolution de l’humain en utilisant des matériaux « premiers » pour la création. Dans le livre, un artiste décrit comme précurseur du mouvement, utilise sa propre image et son propre sang pour re-créer son visage qui vivrait ainsi pour l’éternité, le fameux « masque » qui offre son titre au roman.

Mais le véritable sujet de cette histoire est l’étrange disparition de la riche mécène Drew Hildebrand, figure incontournable de l’art contemporain aux États-Unis. L’intrigue est racontée par une narratrice qui n’est autre que sa propre nièce, la jeune Annemarie Straube. Femme énigmatique, Drew est sans doute la plus belle création du livre. Personnage protéiforme, monstrueuse à sa manière, elle est décrite à la fois comme jeune et belle, mais aussi sans âge, passionnée et extrême. Brune, rousse, blonde, le crane rasé, elle change constamment d’apparence sans doute pour mieux se fuir.

Et justement, la fuite est sa spécialité. Elle a quitté sa vie triste et étouffante de petite ville à dix-sept ans. Rejetée et en rupture avec les siens, elle réapparaît quelques années plus tard sous une autre identité. Elle a changé son nom de Eileen Straube en Drew Hildebrand et s’est mariée à un riche mécène, dont on ne connait que le nom de famille, Hildebrand justement. Elle cultive volontiers cette part de mystère.

A présent veuve, riche de son expérience auprès de grands artistes comme Andy Warhol et propriétaire d’une immense demeure, Chateaugay Springs, près de la frontière canadienne, elle y a monté une colonie d’artistes. Ces derniers voient comme un honneur fabuleux d’être choisi pour y résider. Ce fût le cas de la jeune Tania, morte d’une overdose quelques années plus tôt et dont la mort hante encore le domaine.

Le début du roman nous plonge en plein drame, Drew a disparu, et l’on retrouve sa nièce en plein bois, l’air hagard, droguée et en état de stress intense. Elle se souvient avoir été agressée, mais ne sait pas ce qui a pu arriver à sa tante. Et c’est là toute l’originalité de la construction de ce roman puzzle. Tandis que l’enquête se poursuit, la jeune fille remonte le fil des évènements qui l’ont amenée à vivre avec sa tante, la sœur aînée de son père, il y a quatre années de cela. Comme elle, Annemarie vient d’une famille en crise, un père en prison, une mère sans doute en asile psychiatrique.

Elles ont une relation complexe, inégale, dévastatrice pour la jeune fille. Sa tante commence par la rebaptiser « Marta », elle tente d’en faire une autre elle-même, mais la nature de la jeune fille ne s’y prête pas, elle est trop faible. Vie décousue, sexualité libérée, drogues, les habitudes de sa tante projettent malgré elle la frêle « Marta » dans un monde qu’elle refuse, bien qu’elle cherche à tout prix à lui plaire.

Elle se sent redevable et lui est complètement soumise, une relation malsaine s’installe progressivement. Drew est instable, lunatique, entière, exigeante et « Marta » ne correspond pas à ses attentes, « Ma fille, si j’en avais voulu une. Ce qui n’est pas le cas », lui rappelle-t-elle fréquemment. On apprend peu à peu ce qu’a été leur vie, à travers le prisme du milieu des artistes, qui est complètement fou, arrogeant, dérangeant et terriblement envahissant.

Le suspense sur la disparition de Drew demeure entier, jusqu’aux dernières pages, alors que les évènements se précipitent et que la jeune fille semble retrouver la mémoire de ce qui s’est passé. Aidée par Noah, le chauffeur de sa tante, « Marta » lui révèle « sa » vérité. Et l’on comprend que le drame que l’on vient de lire nous révélait déjà en filigrane la solution de l’énigme.

Si le lecteur s’attend à trouver le schéma standard d’un polar de facture classique avec un mystère à résoudre, suivi d’une enquête, il risque d’être déçu, voire de s’ennuyer. Ce roman est avant tout une réflexion psychologique sur une relation dévastatrice, mais aussi sur la manipulation, sur la difficulté de résister aux êtres dont la nature profonde les pousse sans cesse à se dépasser, à atteindre des idéaux au risque de tout perdre (ce qui est le propre de l’artiste après tout). De ce point de vue, le roman de Lauren Kelly est une belle réussite.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 301
Editeur : Albin Michel
Sortie : 6 janvier 2011
Prix : 19,50 €