Maus

Shoah. Ce mot terrifiant aux relents de souffrance, d’horreurs et de monstruosités. Bien peu auraient imaginé cette abomination racontée dans une bande-dessinée. Bien peu auraient eut l’audace de le faire. Bien peu en aurait eu le talent. Art Spiegelman a eu cette audace et ce talent et c’est tout naturellement que le lecteur en oublie le support pour s’axer uniquement sur l’histoire. Spiegelman nous raconte dans ce livre les bribes de récits qu’il a pu extraire de ses échanges avec son père, survivant des camps.

Afin de prendre le recul suffisant à une analyse critique, loin de toute passion et de souffrance, l’auteur invente un monde dans lequel le peuple Juif est représenté sous la forme de souris, les nazis en tant que chats, les polonais comme des verrats. Hormis ces effets de style, les protagonistes s’habillent, boivent, mangent, habitent des maisons, des ghettos, des camps de concentration. Des souris meurent, se cachent, s’enfuient. Des chats les rattrapent, les tuent, les font brûler. Certains cochons s’engraissent, dénoncent et s’enrichissent pendant que d’autres risquent leur vie pour que de malheureuses souris survivent. Des souris préfèrent empoisonner leurs enfants plutôt que de les voir mourir, des chats arrivent et fracassent le crâne des souriceaux contre un mur. Les souris se retrouvent avec une étoile jaune sur la poitrine à obéir dans un camp à un cochon au triangle rouge pendant que les chats massacrent le moindre muridé affaibli. Des souris meurent, des souris restent. Des cochons sont Justes d’autres non. Des chats tuent, pillent, assassinent et toujours les souris qui voient leurs vies s’arrêter ou continuer.

Spiegelman aurait pu s’arrêter à ce point. En déshumanisant les personnages, il nous montre toute l’horreur de la Shoah dans les actes et non dans les personnes. L’auteur ne juge pas il expose. Mais cet exposé n’est pas le centre de son histoire. Le véritable sujet est en fait le combat mental que mènent les survivants contre leurs souvenirs, contre leurs angoisses qui perdurent, contre eux-mêmes. Et cela sans oublier, au travers de ces survivants, la première génération issue de ces juifs polonais émigrés dont la naissance tient du miracle et dont l’existence, avec son héritage de traumatisme, est le triomphe éternel des souris contre les chats.