Michel de Pracontal : La femme sans nombril

Onirik : Quelle est l’origine de La Femme sans nombril ?

Michel de Pracontal : C’est la version romanesque d’un essai qui s’appelle L’homme artificiel pour lequel j’ai fait tout un travail de documentation sur les automates, les ordinateurs. A l’origine en 2000 quelqu’un des éditions Denoël me contacte pour me demander un essai sur l’homme artificiel en balayant assez large : les robots, les clones, les cyborgs, tous ces intermédiaires entre l’homme et la machine.
Au début je ne me voyais pas faire cet essai, l’éditeur insista et donc j’accepta. Après avoir commencer et je n’y arrivais vraiment pas pas. J’ai donc décidé de faire une longue nouvelle. J’en écrivis cent pages puis je l’amèna à Denoël, et là ils tombèrent de leur chaise en me disant que c’était de la merde, que le contrat stipulait un essai et non un roman et que même s’ils avaient voulus un roman c’était un très mauvais roman. J’ai remballé mon truc, et je leur ai fait leur essai contractuel, en prenant la même trame mais en enlevant les effets romanesques. L’essai fut publié et j’ai rangé mes cent pages de roman dans un tiroir en me disant que je n’en ferai jamais rien puisqu’on m’avait dit que c’était vraiment nul.

A l’époque je connaissais depuis des années le plus grand penseur de civilisations extra-terrestres : Pierre Lagrange. C’est un sociologue qui s’est intéressé à l’univers des ovnis, et surtout des gens qui racontent des histoires d’ovnis. Pierre Lagrange m’appella et m’expliqua qu’il devait diriger une anthologie de nouvelles de SF sur le thème du complot et me propose de participer. Cela devint Noirs complots.

Derrière cela il y avait Hélène Oswald qui avant dirigeait les Éditions NEO bien connues des amateurs « de mauvais genres ». Après la publication de Noirs Complots, elle me contacta et me dit qu’elle avait bien aimé ma nouvelle et me demanda si je voulait en faire un peu plus. Après différentes péripéties, six mois après elle me recontacta en me disant de me dépêcher de finir mon roman et qu’elle l’attendait pour le publier (NDLR : c’est publié aux éditions du Cherche-Midi dans la collection « Néo » ) .

O : Pourquoi avoir choisi « Gorge profonde » en fil rouge pour votre livre ?

MdP : Là vous me posez une colle. Je peux essayer de reconstituer comment j’ai construit le récit. AU début il y avait un truc de mot de passe. J’ai un ami chercheur en informatique et en intelligence artificiel [NDLR : I.A.], en fait j’ai toute une bande de copains qui a inspiré beaucoup de choses dans ce roman. Ils étaient des pionniers en France en I.A. et un jour l’un d’entre-eux m’avait raconté une histoire dans laquelle le mot de passe était une musique et ça m’est resté. Pour éviter d’être répétitif je me suis dis que j’allais prendre autre chose pour le mot de passe. Cela ne pouvait pas être un mot tout simple car je voulais quelque chose de plus élaboré. Hors, comme le voyage jusqu’à la terre dure longtemps, ils [NDLR : les visiteurs] allaient s’ennuyer un peu donc il fallait qu’ils aient des distractions d’où l’idée d’un film. Mais, après, pourquoi Gorge Profonde

O : Je vous pose cette question parce que cela donne un liant fort au livre entre l’affaire du Watergate et tout les évènements qui s’y rapportent et ce mot de passe.

MdP : Il y a eu un jeu d’association d’idées mais dont je suis incapable de redonner l’ordre exacte. Les éléments furent : FBI/Hoover, Hoover/Watergate, Watergate/Deep Throat, Deep Throat/double sens. Je me suis dit qu’il fallait exploiter ce double sens mais je suis incapable de vous dire si j’ai commencé par le film pornographique et approfondi par la suite ou si j’ai commencé par Hoover pour arriver au film.

Il y a eu ainsi plein de boucles involontaires. Pour donner un exemple, je suis allé voir le film au Brady, toute la scène du cinéma est authentique [NDLR : Angela, une des extra-terrestres va voir le film au Brady]. Ce film m’a amusé, je l’ai trouvé assez rigolo. Il a un côté assez farce avec plein de bêtises. Ce n’est pas fait dans l’ambiance sinistre des pornos actuels. Après avoir vu le film, j’avais en tête le passage de la fusée qui se prétait bien à mon histoire. Je n’avais pas prévu ça au début, mais là le matériau se prêtait à cette exploitation. Le problème c’est que je devais revoir le film parce que je n’avais évidemment pas chronométré les séquences pendant la projection. Il me fallait une cassette ou un DVD et donc je suis parti à la recherche d’un tel support, recherche que j’ai aussi utilisé dans le livre [NDLR : les extra-terrestres parcourent Londres puis Paris à la recherche du film]. J’ai passé une bonne demie-journée pour le trouver. J’ai fait tous les magasins de la rue Saint-Denis, ils ne l’avaient pas, et au final je l’ai trouvé à côté de Pigalle, en DVD. Ca m’a coûté une fortune.

Le côté rigolo c’est que dès que j’ai chargé le DVD, est apparu en gros sur l’écran F.B.I. Control. Ce qui rejoignait totalement ce que j’avais lu de la biographie de Hoover et son désir de tout contrôler. J’ai donc eu comme ça une série d’idées qui se renvoyaient la balle sachant qu’en plus tout cela eu lieu la même année : 1972.
Concernant Depe Throat je suis assez content de moi car quelques mois après la sortie de mon livre, il s’est dénoncé et j’étais assez fier de moi de voir que c’était Mark Felt car je dis que c’était Hoover à l’origine du scandale et lui c’était le lieutenant de Hoover. Par conséquent ma version romanesque est compatible avec la réalité historique. J’étais quand même un peu frustré parce que comme mon livre est sorti avant les quelques articles dessus n’ont pas pu exploiter cela.

Au final tout ça était un jeu de piste amusant. Il est clair que cela m’amusait d’avoir un film cochon comme mot de passe. Je veux que mes extra-terrestres soient non seulement sans trop de préjugés mais aussi assez coquins. Cela allait bien avec leurs profils, cela allait bien aussi avec l’ambiance que je voulais dépeindre dans mon livre. Il y a un fil conducteur qui n’est pas visible mais je vous le donne comme une clef. Un auteur que j’aime beaucoup c’est San-Antonio (NDLR : de Frédéric Dard) et il y a toujours cette irruption de sexe dans ses textes. Là où je ne suis pas du tout dans sa lignée c’est qu’il est un grand créateur de langage, il utilise un argot à la Audiard mais plus moderne, c’est vraiment un inventeur de langage, plus qu’un auteur de polars. Il prend des trames de polars mais assez légère et il y a des histoires érotiques ou pornographiques et ça m’influence même si je ne vais pas aussi loin que lui ni le prétend d’ailleurs. Je suis plus motivé par la construction du récit et donc j’ai un phrasé peu excentrique. J’essaie d’avoir une langue accessible et je mets un peu d’érotisme mais cela n’a rien de comparable avec San-Antonio et ses scènes pornos qui durent dix pages. Pornos mais drôle, c’est du burlesque pornographique. C’est un auteur qui m’a beaucoup influencé et donc c’était plus logique d’avoir Deep Throat en mot de passe que le Train Sifflera trois fois.

O : Et pourquoi vos extra-terrestres jurent ils en utilisant des noms de dieux hindous ?

MdP : C’est arivé un peu par hasard. J’ai fonctionné à la fois dans le délire et dans le plaisir. J’avais une trame de base, que j’avais depuis longtemps, et dans cette trame je voulais des lieux, des ambiances, des discours qui s’assemblaient comme un puzzle et le hasard a fait que je suis tombé sur une biographie d’Oppenheimer dans lequel il parlait du dieu Arjuna qui sera la destruction et cela m’a frappé ce rapprochement que faisait Oppie avec la philosophie indienne sauf que ce n’était pas développé. J’ai donc eu envie d’aller voir qui était ce Arjuna. Je me suis procuré un énorme livre sur la mythologie indienne, je suis allé au musée Guimet et tout cela participait à une ambiance néo-années 70. A l’époque j’étais assez ironique sur la philosophie indienne mais dans le livre que j’ai trouvé, ça allait au delà de cette ironie. Dans ce livre l’auteur détaillait que la philosophie antérieure à l’hindouisme qui lui était lui était supérieure, l’hindouisme étant lui même supérieur au bouddhisme. Et donc ça me plaisait de remonter au delà du cliché commercial qu’est le bouddhisme. Il s’agissait donc d’une philosophie beaucoup plus ancienne qui ne me semblait pas incompatible avec la pensée très éclectique et très fondamentale de ces gens [NDLR : les extra-terrestres].

O : Quand on lit d’abord Les Impostures… puis ce livre, on voit un parallèle comme si vous vous étiez challengé vous même pour devenir un imposteur en prenant des faits historiques bien connus et en mettant en arrière-plan une trame secrète.

MdP : Ce n’est certainement pas dû au hasard, mais je ne peux répondre ni oui ni non. Il est vrai que je reprends exactement la trame que j’ai exposée et critiquée dans mon livre Les Impostures… : Roswell, les extra-terrestres, etc. Mais, en même temps dans mon cas l’imposture est totalement ludique. Il est évident que je joue avec les faits et qu’en plus je n’arrête pas de me moquer. D’ailleurs, si on regarde bien je me moque complètement de la littérature extra-terrestre. Il y a beaucoup de choses que j’ai citées, notamment tout les clichés sur le sujet. En fait, je revendique aussi le droit à la fiction. C’est affiché que c’est de la fiction, mais il est aussi vrai qu’il y a une difficulté aujourd’hui : c’est de plus en plus difficile de faire la part entre la fiction et le reportage. Et moi je suis très attaché à une éthique où les frontières sont bien définies.

Là, il est clair que c’est un espace de jeu. On est là pour s’amuser, délirer, ressentir des émotions et pas du tout pour faire l’exercice beaucoup plus rigoureux que je propose dans Les impostures… Je me suis donc emparé de toute la mythologie de Roswell et des légendes urbaines, c’est très documenté.

O : Les limaces au Brady, métaphore ou réalité ?

MdP : Ca prend son origine avec la Gare du Nord. Avant que ce ne soit nettoyé au « Karcher », il y avait une rangée de SDF et la description qu’Angela en fait en arrivant est juste une exagération de ce que l’on pouvait voir entre le dégueulis, les odeurs de bière, etc. Je suis donc parti de cette idée de masse grouillante. C’est assez facho comme vision du SDF mais Angela regarde cela avec une distance d’entomologiste. J’ai donc imaginé un être humain, un clochard qui aurait subit des bombardements de radiations. La limace est donc une caricature de la perte de la forme humaine. Cela crée de plus une opposition culturelle avec le monde anglo-saxon plus puritain, plus mécaniste, plus robotisé et plus cyber et le monde français plus muqueux. Il était donc logique d’avoir des limaces et des cyber-poulpes en France.

O : Avez vous d’autres romans en cours ?

MdP : On peut dire qu’une récidive est à craindre.

O : A espérer plutôt.

O : Vous faites des révélations fracassantes sur ce qui c’est réellement passé en 1953 à Roswell, pouvez vous nous en dire plus ?

MdP : Bien sûr, il y a eu … [fin de la K7].