Michel de Pracontal : Les impostures scientifiques en dix leçons

Onirik : Qu’est-ce qui vous a poussé, motivé à écrire ce livre ?

Michel de Pracontal : Une crise de rage due à Rika Zarai. Ca se passait à une époque où je regardais encore la télévision et dans un débat télévisé il y avait une discussion autour de la médecine et de ce que l’on ignore encore. Pendant ce débat il y avait Rika Zarai qui parlait de sa médecine naturelle et expliquait des âneries au sujet de la radio-activité. Et un médecin sur le plateau disait que eux, les médecins, savaient à peine comment marchait l’aspirine. Hors, il se trouvait qu’à l’époque je venais de faire un article sur le mécanisme qui avait conduit à donner un prix Nobel justement pour l’aspirine. Je savais donc comment ça marchait et même si j’aimais bien Rika Zarai et sa musique, elle ne connait rien à la chimie et à la physique. J’ai donc trouvé la tournure du débat ahurissante, cette situation où le système de tribune publique que sont les médias commerciaux font que la personne compétente sera moins entendu que la vedette qui dit des idioties. Par exemple elle disait, comme elle savait qu’il y a des problèmes légaux avec l’exercice illégal de la médecine, que bien sûr avec un cancer la radiothérapie était possible mais que quand on rentrait chez soi le soir il fallait se couvrir d’argile pour enlever la radioactivité. Comme s’il s’agissait d’une substance que l’on pouvait éponger. Et il n’y a eu personne pour contester ça alors que le médecin contestait la médecine. Évidemment, je ne dis pas qu’il n’y a plus rien à comprendre dans la médecine mais c’est cette espèce de contradiction majeure et du mépris du savoir qui pour moi est antinomique avec l’idée que je me fais de la démocratie. Car pour moi la démocratie n’est pas praticable s’il n’y a pas un minimum de raison. Et il n’y a pas ce minimum de raison si on n’est pas un minimum instruit. Donc lorsque le discours de l’émotion le plus niais, et je ne dis pas ça dans un sens élitiste, mais le fait que n’importe qui peut arriver dans un débat et dire n’importe quoi et que tout le monde acquiesce m’a mis en colère. Et le seul moyen d’apaiser cette colère était d’écrire ce livre.

O : Ne pensez vous pas qu’un tel sujet serait mieux traité dans un périodique au vue des nouvelles âneries qui sortent chaque année ? Si l’on considère les magazines actuels, à part quelques articles récurrents (comme le suaire du Turin dans Science et vie) le quidam moyen n’a aucun référent.

MdP : L’idée est excellente mais toute la difficulté dans ce milieu médiatique est justement de prendre valeur de référence. Et pour cela il faut avant tout trouver un moyen de donner une crédibilité. C’est entre parenthèse le problème majeur de ce que l’on trouve sur Internet. Or le web est le média le plus moderne aujourd’hui, c’est un immense espace de liberté, tout le monde peut raconter ce qu’il veut. Cela est formidable mais se paye cher. Je n’ai pas de solution pour donner une grille de lecture pour déchiffrer l’information et se prémunir des impostures.

O : Certaines associations s’occupent de démasquer les impostures pourquoi cela n’est-il pas institutionnalisé ? N’est-ce pas à l’Etat de prendre à sa charge ce travail d’éducation ?

MdP : A ma connaissance ça a toujours été des initiatives privées mais cela dépend de quel pays on parle. Au États-Unis, il y a des groupes appelés les « Skeptics » qui étaient comme les rationalistes mais plus ouverts. Et ces gens là on fait beaucoup de travail de documentation mais le souci c’est que la dernière fois que je les ai vu ils étaient assez âgés et il ne doit pas en rester beaucoup. Par contre en France il ne faut pas que ce soit institutionnalisé parce que nous avons une tradition qui remonte aux Lumières et qui a généré la tradition rationaliste, hyper positiviste. La conséquence est qu’en France la science est une affaire d’État et ça a des effets contre-productif du point de vue qui nous intéresse notamment à cause des lobby d’État. On peut citer par exemple le lobby nucléaire qui conduit à clamer que l’énergie atomique n’est pas dangereux alors que d’un autre côté on condamne les OGM. Pour ces raisons il vaut donc mieux que cela reste du ressort privé. La difficulté est qu’il n’y pas qu’une solution. Je fait un travail de journaliste, je n’ai aucune prétention éducative. Il y a un travail qui relève des enseignants et c’est là la responsabilité de l’État car on n’arrivera à rien dans ce domaine si on n’éduque pas les gens. Ça ne peut pas être de la responsabilité uniquement des médias. Or, actuellement, lorsque les gens sortent de l’école, ils ne savent rien et cela non pas à cause des enseignants mais parce que l’Ecole est en crise. En France la science est affaire d’état et donc science égale vérité. On est hyper positiviste ce qui ne donne aucune barrière bien au contraire car c’est une attitude religieuse vis à vis de la science qui encourage la croyance et gêne la discussion. Le premier travail à faire est donc d’apprendre aux français à avoir un peu plus d’humour avec la science et c’est pour cela que je parsème mon livre d’humour idiot et de calembours qui n’apportent rien mais montrent que l’on a le droit de rigoler.

O : Mais d’où vient cette idolâtrie ? Si l’on compare les mythes modernes issus de la bande-dessinée avec la mythologie antique, les dieux ont été remplacés par la radio-activité, les manipulations génétiques qui sont de nouveaux dieux.

MdP : On ne peut pas donner la même réponse si on parle de l’humanité en général ou si on est dans un contexte plus particulier. Si vous posez votre question en général on va vous répondre que c’est se demander pourquoi il y a des religions. A cette question il y a une réponse que j’aime beaucoup, celle de Pascal Boyer. C’est un anthropologue qui analysait la pensée religieuse et concluait qu’il s’agissait d’un mode de pensée assez élémentaire, facile à rendre et à reproduire. Il est plus facile d’enseigner aux gens à croire religieusement à une chose que l’on sait idiote que de leur enseigner à penser discursivement, à questionner en permanence. Dans ce dernier cas il n’y a pas de recette ni de messages simples alors que dans le premier cas il suffit d’apprendre par coeur, c’est plus facile. Après si on restreint la question au contexte français, il est intéressant de voir qu’il y a eut quasiment une religion laïque issue des Lumières. La philosophie des Lumières était une chose merveilleuse mais qui s’est figée ensuite dans une attitude religieuse vis à vis du Savoir, attitude qui a culminé sous la Révolution où on est arrivé à cette chose extraordinaire que l’on guillotinait les prêtres pendant qu’on demandait au peuple d’adorer l’Etre Suprême, la Raison Suprême. Le souci est que tout notre enseignement favorise ce rapport religieux à la Science. On est donc arrivé, sous couvert de laïcité au scientisme, une religion de la science.

O : A contrario des politiciens consultent des astrologues.

MdP : C’est justement la rançon de ce genre de laïcité qui n’est pas vraiment assumée. Il est lus facile encore de tomber. Si nous avions une attitude plus souple cela arriverait sans doute moins car il suffit de mettre un vernis d’apparente procédure scientifique à n’importe quoi :graphologie, astrologie, morphologie, tout en racontant la chose la plus absurde et tout le monde le croira.

O : Pourquoi traitez vous au même niveau les impostures issues de la para-science et les impostures vraiment scientifiques ?

MdP : Je ne l’ai pas mises au même niveau mais je les ai quand même mises ensemble. La raison est que je me suis aperçu que même si elles étaient dissociées au départ les ressorts sont communs. Un des ressorts c’est de refuser le verdict de la réalité. Je les ai donc mis ensemble car ce qui m’intéressait était d’étudier les rouages psychologiques et ce sont les mêmes. Les motivations sont toujours principalement la recherche de la reconnaissance.

O : A-t’on les mêmes imposteurs maintenant qu’il y a 100 ans, 500 ans, 1000 ans ?

MdP : Non je ne pense pas. On trouve bien sûr les mêmes ressorts, le besoin de reconnaissance, la soif d’exercer un pouvoir sur les autres mais les moyens sont très différents aujourd’hui. Vous avez à la fois l’importance de la médiatisation mais aussi un foisonnement du savoir plus grand. Les conditions sont très différentes.

O : Dans votre livre vous dites qu’une théorie scientifique doit être validée expérimentalement, pourtant historiquement des théories ont connu d’énormes engouements avant de pouvoir être validées. On peut par exemple citer la relativité qui a attendu plusieurs années (de 1905 à 1919) pour être validée, actuellement on dépense des budgets sur les hyper-cordes. On peut encore citer les trous noirs et Stephen Hawking avec son mea culpa en octobre 2004, …. A quelle moment commence l’imposture ?

MdP : Il y a une position différente si l’on regarde la science historiquement développée et que l’on regarde devant. Je suis d’accord qu’il n’y aurait aucune découverte si l’on soumettait toute hypothèse à des critères rigoureux et expérimentaux immédiats car toute nouvelle théorie est par définition théorique et donc il n’y a pas forcément de vérifications possibles et quand il y en a elles ne sont pas évidentes. De ce point de vue là ça semble démentir le point de vue sceptique que j’ai dans mon livre. Mais il ne faut pas perdre de vue que il y a constamment deux dimensions scientifiques. Tout d’abord regarder devant et voir ce que il y a à découvrir mais il ne faut pas perdre de vue ce qui est acquis et qui est robuste. Les impostures que j’ai critiquées s’attaquent au robuste. On ne peut pas arriver comme ça du haut de sa science personnelle et tirer un trait sur ce qu’on fait de milliers de gens avant soi parce que l’on estime être un génie. Einstein n’a jamais fait ça. Il y a un attitude humble du scientifique. Enfin quand on explore une nouvelle idée, quand cette idée a bien avancée, s’il n’y a aucun moyen de vérification la théorie ne durera pas et pour aller au delà des anciennes idées il faut que la nouvelle ait autant d’efficacité pour expliquer les phénomènes. Elle peut faire mieux mais certainement pas moins.

O : Nous parlions d’Einstein justement. Einstein imposteur et Poincaré un génie usurpé ?

Mdp : Là il y a un malentendu. Dans mon livre cette théorie n’était pas encore à la mode donc je n’en ai pas parlé mais il faut savoir que c’est un très mauvais procès que l’on fait à Einstein. A l’origine c’est un français qui a écrit sur le sujet et qui valorisait des choses que l’on sait depuis très longtemps mais ne rendait pas compte de comment les choses se sont réellement passées. En fait il y a un appareil mathématique qui s’appelle transformation de Lorentz sur laquelle a travaillé Poincaré. Mais il a travaillé dessus mathématiquement et n’a jamais pensé les choses physiquement comme Einstein l’a fait. Poincaré croyait plus ou moins à l’Ether comme les autres scientifiques de l’époque. L’apport d’Einstein est d’avoir effectué une relecture de ces outils mathématiques dans un contexte physique. Il n’a jamais prétendu être un grand mathématicien. Dire qu’Einstein a emprunté à Poincaré et ne lui a pas rendu c’est lui faire un procès de mauvaise foi.

O : En conclusion, Dieu et la science : incompatible ?

MdP : Je ne dirai pas incompatible mais sans commune mesure au sens où il n’existe pas un appareil qui peut mesurer les deux. Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir sauf d’un point de vue historique. Historiquement il y a eu beaucoup de liens entre Dieu et la Science notamment l’idée d’un Dieu législateur qui a fondée une Loi du monde. Cette généalogie on ne peut la nier mais elle est historique. A partir du moment où on est rentré dans l’ère où les outils conceptuels que l’on possède suffisent à décrire le monde, on n’a plus à y revenir. Hors actuellement il est de plus en plus difficile de réfléchir en dehors du cadre religieux, c’est quelque chose de régressif. Pendant des siècles il était impensable de philosopher sans se référer à Dieu. L’Homme a conquit la liberté de passer à autre chose et nous sommes en train de brader cette liberté. Laissons Dieu chez lui et la Science chez elle. Mais c’est un discours très difficile à tenir aujourd’hui.