Présidentielle 2012 : Interview du directeur de campagne de Corinne Lepage – Cap 21

Onirik : La SACEM est régulièrement pointée du doigt par la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits (source). Pensez-vous que ces dérives soient symptomatiques d’une dérive générale des systèmes de financement de la création ? Sont-ils adaptés à un monde où l’émergence des outils et réseaux numériques permettent aux artistes de s’autoproduire et de diffuser leur travail ? Comment assurer avec les nouveaux moyens de communication et de diffusion l’équité en termes de financement et de répartition ?

La SACEM a été effectivement pointée du doigt pour certaines dérives, mais celles-ci tiennent plus à la forme qu’au fond. Il en va de cet organisme collecteur comme de beaucoup d’autres structures collégiales ou paritaires (Comités d’entreprises, syndicats etc..), les dérives tiennent à la gouvernance, au manque de transparence, et une absence de contrôle par des tiers de confiance indépendants. C’est la raison pour laquelle en ce domaine particulier, comme de manière générale, Corinne Lepage souhaite une meilleure lisibilité des gestions, un cantonnement de la longévité des administrateurs et une vraie responsabilité avec quitus délivré ou non.

Sur le fond, il est évident que la protection des droits s’agissant des œuvres musicales est la première exposée, encore que dès les années 90, la question s’est posée au niveau des œuvres cinématographiques, avec la montée en puissance de la numérisation et le passage de l’argentique au numérique. Il est d’ailleurs plaisant de noter que la SACD, fondée en 1777 par Beaumarchais, est moins exposée, pour veiller à la protection des droits des auteurs dramatiques.

L’avènement puis l’explosion du numérique et des réseaux commandent de changer de modèle. CAP21, le parti fondé par Corinne Lepage s’est penché sur ces questions, lors de la mise en place de l’HADOPI. Nous en avons demandé l’abrogation et plaidé pour l’émergence de la licence globale, avec une perception, d’un droit ou d’une taxe greffés sur le coût de l’accès à internet.

En toute hypothèse pour Corinne Lepage cette question confirme que l’on a changé de monde, et qu’il est illusoire de vouloir répondre aux questions nouvelles avec des outils anciens et des grilles de lecture périmées.

Onirik : Le marché du livre numérique est en pleine expansion, mais outre un prix identique au papier, les DRM empêchent des actes auparavant triviaux comme le prêt d’un livre à un ami, l’achat/revente sur le marché de l’occasion. Comment percevez-vous ce nouveau paradigme consistant à passer d’un droit de propriété sur un objet matériel à un simple droit d’usage sur un objet immatériel rendu périssable ? Comment assurer que la patrimoine culturel se diffuse au plus grand nombre ?

Dans une réponse documentée faite à MICRO HEBDO en juin 2011, P. Prévert, en charge des libertés numériques pour le projet Lepage 2012 a indiqué les raisons d’une opposition aux DRM (gestion des droits numériques). Il s’agit là d’une mauvaise réponse en ce qu’elle pénalise les auteurs et le grand public qui est obligé de disposer d’un lecteur autorisé DRM générant des surcoûts pour le fabriquant développeur. Il s’en suit une désaffection et des réflexes de fraudes.

Pour Corinne Lepage la dématérialisation induit une fin de la propriété du support d’une œuvre, pour laisser la place à une sorte de droit d’usage, d’écoute ou de visionnage. L’exemple de la VOD (Vidéo on demand) est à observer avec les risques inhérents à des plateformes de stockage centralisées, susceptibles de destructions. La réponse réside sans doute dans la vulgarisation des coffres-forts électroniques, de sécurité, pour pérenniser les œuvres.

Onirik : Selon vous, l’enseignement actuel en France doit il évoluer pour développer chez les jeunes le goût pour la culture au sens large et leur donner les clefs de l’appréciation de cette culture ?

Cette question de l’éveil à la culture dès le plus jeune âge s’inscrit dans le cadre plus vaste de la refonte totale de l’enseignement dès le pré-élementaire. Pour Corinne Lepage la première priorité est d’apprendre la langue française et l’écriture, accès indispensables à tous les savoirs et donc à la culture. L’école est le lieu premier d’apprentissage de la citoyenneté et la culture est un des déterminants premiers de la citoyenneté. Elle permet d’en comprendre les composantes et les moteurs.

Onirik : Ces dix dernières années, les blogs et magazines sur le web ont progressé tant en terme de visibilité que de crédibilité. En parallèle la presse traditionnelle est moribonde. Comment analysez-vous ces changements ?

La presse traditionnelle papier, est effectivement en difficulté, car elle n’a pas anticipé une nouvelle typologie de comportement, des citoyens et des jeunes en particulier. La encore on vérifie l’absence d’anticipation et de mise en perspective du changement de monde. Les NTIC, et les différents réseaux ont ouvert les vocations à autant de journalistes que de citoyens, pour la rapidité de l’information et les prises de positions, souvent dans l’urgence, la passion et le parti pris.

La presse papier va donc se replier à juste titre sur 2 axes, le gratuit quotidien qui se révèle un vecteur de plus en plus pertinent, et le quotidien ou l’hebdomadaire qui produisent une analyse avec recul. Pour Corinne Lepage, en terme de démocratie, comme pour le média audiovisuel, ce rôle fondamental de la presse devra s’accompagner d’une indépendance forte vis-à-vis des mouvements politiques et des lobbies.

Onirik : En 2011, plusieurs œuvres artistiques ont choqué des communautés religieuses, pensez-vous que la liberté d’expression, notamment dans l’art mais pas uniquement, a des limites ? Est-ce à la loi de fixer ces limites ?

Corinne Lepage fait de la laïcité et de la liberté de conscience l’un des piliers de son projet. Dès lors, toute atteinte a la liberté d’expression en quelque domaine que ce soit doit être proscrite.

Les éventuelles entorses à cette règle de base ne peuvent être justifiées que pour des motifs de santé publique pour des œuvres ou expressions de nature à troubler l’équilibre des jeunes et en aucun cas pour des raisons tirées de dogmes religieux quels qu’ils soient.