Présentation de l’éditeur
« Chez les Brontë, le pilier était le père, intimidant par sa haute stature et son titre de révérend. Il y avait une tante pour veiller à l’éducation des enfants, mais pas de mère. C’est probablement par cet interstice que j’avais pu me faufiler dans la famille et me sentir chez moi parmi les quatre enfants qui complétaient la maisonnée. »
On sait que lire ne va pas sans risque, la narratrice le vérifie à ses dépens : pour avoir trop fréquenté les Brontë, elle finit par se prendre pour un membre de la famille. Seul bémol à sa conviction, elle n’est pas sûre de savoir lequel. Ainsi débute une enquête qui la plonge dans les vertiges de l’identité, au fur et à mesure qu’elle brosse les portraits des trois célèbres sœurs et de leur frère.
Comme s’ils détenaient à eux tous le secret de sa vie, la narratrice se reconnaît à divers titres dans chaque membre de cette fratrie. Charlotte, Emily, Anne et Branwell ont été des enfants écrivains, c’est là que se noue la trame singulière qui relie sa propre histoire à celle des Brontë. Portraits croisés, promenades et rêveries sur la lande du Yorkshire interrogent la condition enfantine et celle des femmes écrivains, que tout rapproche à cette époque.
Avis de Claire
« 1801 – Je rentre à l’instant d’une visite à mon propriétaire, le seul voisin dont j’aurai à m’inquiéter. Ce pays est assurément magnifique ! Je ne crois pas que, dans toute l’Angleterre, j’aurais pu arrêter mon choix sur un lieu aussi complètement à l’écart de l’agitation du monde. Un véritable paradis de misanthrope… »[[Traduction de Wuthering Heights par Dominique Jean, La Pléiade, 2002.]] Voici l’incipit de Wuthering Heights, aussi connu sous le titre Les Hauts de Hurlevent (1847), seule oeuvre d’Emily Brontë, mis à part ses écrits de jeunesse et ses poèmes.
Dans ces quelques lignes, il y a déjà tout le roman, autant la sauvagerie de la lande que le drame sous-jacent, mais surtout la déclaration d’amour d’Emily pour ce nid rassurant qu’elle a quitté le moins possible, s’enracinant autant dans la terre que dans le vent. Ce n’est donc pas un hasard si Anna Feissel-Leibovici choisit de commencer son récit avec une référence à ce chef d’oeuvre. Véritable incarnation du monde intérieur d’Emily Brontë, Wuthering Heights fascine autant qu’il inspire.
Quiconque a déjà lu un des romans des soeurs Brontë sait de quoi il est question ici : d’un des mystères parmi les plus fascinants de la littérature, des enfants d’une intelligence redoutable pour leur jeune âge, arrachés trop tôt à la vie. On apprécie qu’Anna Feissel-Leibovici n’oublie ni Maria, ni Elizabeth, les soeurs aînées, (ni même Branwell, frère et peintre maudit) figées à jamais dans une impavide jeunesse, comme des oisillons à qui l’on aurait coupé les ailes avant qu’ils apprennent à voler. Qui sait seulement ce qu’auraient pu produire ces esprits vifs, encore en friche, en regard des oeuvres de leurs célèbres cadettes ?
Dans une préface rédigée en 1850, pour la première réédition de Wuthering Heights, Charlotte elle-même a reconnu que ce roman a été mal perçu à sa sortie, car nul n’en possédait les codes. Il fallait être venu jusque dans ce fameux Yorkshire, avoir humé la brume sur la lande, avoir respiré le parfum des bruyères, pour vraiment le comprendre. Il était tout simplement unique, novateur, singulier, inédit. Ce coin de Yorkshire, balayé par le vent, agissait tel un rhizome dans toutes les oeuvres signées en leur temps Currer, Elllis et Acton Bell.[[Respectivement Charlotte, Emily et Anne Brontë. Les soeurs Brontë ont d’abord signé leurs romans de noms d’homme, car les femmes en littérature n’étaient pas prises au sérieux. Il aura fallu le succès colossal de Jane Eyre, pour que leur nom soit révélé au public.]]
C’est justement poussée par l’idée lancinante de se rapprocher des soeurs, que la psychanalyste Anna Feissel-Leibovici a pris, comme beaucoup d’autres avant elle, et nombre d’autres après, le chemin qui mène à Haworth. Force est de constater que, pour les brontëophiles (si tant est que ce néologisme soit acceptable) tous les chemins mènent à Haworth, petite bourgade perdue dans la lande (plus si sauvage que cela aujourd’hui), à un jet de pierre de Keighley, à quelques encablures de Leeds ou Sheffield, ce qui au temps des Brontë semblait déjà le bout du monde.
Lors de ce voyage se mêlent souvenirs personnels, qui font souvent écho au destin tragique de cette fratrie si peu ordinaire, et expérience presque mystique, puisque la narratrice s’imagine côtoyant les soeurs, comme si elle était l’une d’entre elles. A ses côtés, nous en apprenons beaucoup, car Anna Feissel-Leibovici sait de quoi elle parle, poussant les anecdotes dans les détails, observant les soeurs par d’autres prismes que leurs seuls livres, comme le regard toujours bienveillant d’Ellen Nussey, l’amie intime de Charlotte, ou encore la romancière Elizabeth Gaskell, sa biographe.
Un récit qui n’est pas réservé qu’aux amateurs des Brontë, mais qui bien évidemment, tirera toute sa force de l’expérience propre que chaque lecteur possède de leurs oeuvres. A ce moment-là, lui aussi pourra se poser cette pertinente question : quel Brontë suis-je ?
Fiche technique
Format : broché
Pages : 227 pages
Editeur : Librinova
Sortie : 14 mai 2020
Prix : 14,90 €