Rencontre autour d’Entretiens d’embauche et autres demandes excessives

Actuellement, le théâtre Déjazet accueille Entretiens d’embauche et autres demandes excessives, pièce écrite et mise en scène par Anne Bourgeois, et interprétée par Laurence Fabre. Onirik a pu rencontrer ces deux artistes à l’issue de la représentation. Nous avons été accueillis par le directeur du théâtre, Jean Bouquin, qui a évoqué également avec passion et engagement l’histoire de son théâtre.

Une pièce sous forme de fable sociale

Comme son titre l’indique, Entretiens d’embauche et autres demandes excessives met en lumière une demandeuse d’emploi qui enchaîne les entretiens d’embauche, du premier que l’on passe à l’école quand la maîtresse demande à l’enfant ce qu’il veut faire plus tard, pour finir avec un entretien décalé avec l’au-delà, en passant par des entretiens en entreprise, interpellant notre quotidien.

Anne Bourgeois nous le confirme d’ailleurs : malgré l’absurdité sans nom à l’œuvre dans ces entretiens et la stérilité de certaines questions, tout est avéré. Elle s’est inspirée de cas bien réels pour écrire sa pièce. La violence de ces rencontres s’exprime notamment par l’entretien en contact indirect, où le candidat est placé derrière une vitre teintée (ça existe et c’est autorisé). Dans la pièce, le recruteur est ainsi personnifié par une voix off : cela permettait à Anne Bourgeois de déshumaniser le rapport, en éloignant le recruteur le plus possible. Les séances d’enregistrement avec Fabrice Drouelle (la voix off) ont été très précises et toutes les questions qu’il pose sont réelles, issues des procédés de recrutement. Un gros travail a ensuite été réalisé avec l’ingénieur du son du théâtre pour qu’on entende bien le recruteur (et c’est en effet réussi : la voix est parfaitement distincte et créée une atmosphère très intéressante qui sert le propos).

Certes, la loi a évolué et une déontologie a été établie. Pourtant, il y a peu de plaintes officielles… Comme le montre bien la pièce, il y a tant de fragilité du côté des candidats qu’ils n’osent pas réagir à des comportements inadmissibles, car ils ne connaissent pas nécessairement leurs droits, ou ont tout simplement peur de les faire valoir, craignant les conséquences sur leur recherche d’emploi.

Cette pièce sociale, au-delà de l’humour qui lui permet de faire passer un message sans donner de leçon, est «une fable sociale, une métaphore de la société», nous confie Anne Bourgeois. «Je voulais parler de la déperdition du fantasme du travail». Elle nous explique : «quand on est enfant, on rêve d’être heureux dans son métier, alors qu’aujourd’hui, le monde du travail est marqué par la pression, avec la souffrance qui grandit». Et la difficulté est parfois si forte d’obtenir un emploi, que l’on prend sur soi et que l’on abandonne ses rêves et ses projets. Elle conclut : «au-delà de l’emploi, c’est un spectacle sur l’humain et la société». La pièce reflète bien cette solitude que traverse le personnage : elle est seule à chercher du boulot, seule à se battre.

Anne Bourgeois a écrit sa pièce en ayant en tête Laurence Fabre dès le début. Ces deux artistes nous ont dit être complémentaires, car elles sont toutes deux comédiennes et metteurs en scène. Laurence Fabre est une comédienne qui a la capacité de passer aisément du rire aux larmes, et Anne Bourgeois s’en est servie pour créer son personnage.

Un autre point commun entre les deux artistes, c’est le clown. «Le clown, c’est ma vie», déclare avec le sourire Anne Bourgeois. Grâce au clown, on retrouve l’innocence, la gentillesse qui est avant le jugement. Laurence Fabre acquiesce : «le clown nous libère». Elles nous expliquent que tout le monde a un clown, mais on ne sait pas ce qui va sortir avant de mettre le nez. D’ailleurs, le personnage de la conseillère de Pôle Emploi, Solange, a du clown en elle : c’est un personnage fondamentalement gentil, qui essaie de remonter le moral.

Une pièce engagée pour un théâtre engagé

Anne Bourgeois dit sa fierté de jouer sa pièce au théâtre Déjazet, aux côtés d’un directeur de théâtre engagé. Jean Bouquin nous raconte avoir eu un coup de foudre pour cette pièce, c’est pourquoi il a décidé de la mettre à l’affiche (un vrai pari vu le nombre impressionnant de «seul en scène» en première partie de soirée dans les théâtres parisiens, mais un vrai parti pris artistique).

Pour Jean Bouquin, «le théâtre est un endroit de rébellion où on doit aller le plus possible», c’est un lieu où il n’y a pas de censure possible (contrairement au cinéma où pour monter un projet, il faut des moyens financiers). La passion du directeur pour son théâtre est palpable. Malgré son expérience, il n’est absolument pas blasé et est rempli d’amour pour son art. «Je suis fidèle à mon théâtre, je ne manque aucune représentation» confie-t-il.

Le directeur du Déjazet est un personnage lui-même, dont les récits sont riches d’anecdotes passionnantes. Il sait capter son auditoire avec son enthousiasme et sa sincérité. Il a ainsi dressé un petit historique de son théâtre. Construit en 1770 par le comte d’Artois, le nom du théâtre vient de Virginie Déjazet, qui a dirigé le théâtre entre 1858 et 1870. A George Sand, qui lui demande pourquoi elle se bat pour son théâtre à 73 ans, elle lui répond : «parce que le théâtre, c’est mieux que la vie, on peut recommencer tous les soirs».

C’est aujourd’hui le plus vieux théâtre de Paris, qui a échappé aux démolitions du «boulevard du Crime» lors des travaux d’Haussmann. (Pour plus de détails, n’hésitez pas à vous rendre sur le site du Déjazet – cliquez ici – qui a une rubrique sur l’histoire du lieu assez riche et illustrée.)

Ce théâtre est cher au cœur du directeur, car c’est le théâtre de son enfance. Pendant la guerre, c’est un cinéma et le petit Jean va y découvrir et y aimer des films (Le Capitaine Fracasse notamment !). C’est un théâtre dont les murs chuchotent l’histoire : Mozart y a joué pour Marie-Antoinette, Offenbach y a donné une de ses premières opérettes, tout comme Delibes… C’est là qu’ont été tournées des scènes du film mythique de Marcel Carné, Les Enfants du Paradis.

Devenu supermarché lorsque Jean Bouquin l’a repris, il a fait des recherches et l’a reconstitué dans son état de 1858. Après une période de cinéma (avec fierté, le directeur raconte qu’avant de le rouvrir, en attendant les autorisations, il avait cinéma 24 heures sur 24, avec 3 films pour 15 francs !). Et c’est Coluche qui a inauguré la nouvelle scène…

Aujourd’hui, la programmation est variée mais toujours motivée par les coups de cœur artistiques de Jean Bouquin, qui tient à rester libre et engagé.

Fiche technique

Texte : Anne Bourgeois
Mise en scène : Anne Bourgeois
Avec : Laurence Fabre et la présence vocale de Fabrice Drouelle

Lieu : Théâtre Déjazet, 41 boulevard du Temple, 75003 Paris (métro République)
Horaires : du mardi au samedi à 19h, jusqu’au 25 mars 2017
Prix : de 23 € à 33 €
Réservations au 01 48 87 52 55 ou sur le site officiel du théâtre Déjazet

Copyright photos : Photo Lot

Bande-annonce du spectacle