Rencontre avec Claude Lelouch pour ‘Chacun sa vie’

Question : Le film est très actuel et parle de la vie, pouvez-vous nous en dire plus ?

Claude Lelouch : Chaque fois que je fais un film, j’essaye de transmettre des observations, mes émotions, ce que je ressentais. Je suis comme un reporter qui depuis 50 ans parcours le monde, regarde le monde. Et là dans le cas présent, je pense qu’en ce moment, on est en train de vivre dans un chaos colossal. Et comme je crois à l’incroyable utilité du chaos, je me suis dit qu’il faut que je montre que ce chaos est positif.

J’avais envie de faire un film positif sur une période qui semblait négative. Toutes les périodes négatives de ma vie ont débouché sur du positif, c’est-à-dire que le chaos a été le moteur de ma vie. Tout ce que j’ai réussi dans ma vie, je lui dois. Je sais à quel point l’échec nous prépare au ciel bleu.

Tout a un prix et l’important, c’est la souffrance psychologique, et c’est de cette souffrance que le monde s’est laissé composé, qu’il s’est crée. Je ne suis pas assez savant pour dire d’où vient l’univers, mais je suis assez malin pour utiliser le présent. J’aime le présent, je crois en l’extase du présent et c’est le thème principal de ce film, qu’on a tous des casseroles, on a tous des jardins secrets, et que celui qui est dans le box des accusés n’est peut-être pas celui qui est le plus coupable.

J’ai assisté un jour à une audience avec Dupond-Moretti, c’est pendant cette audience que j’ai eu l’idée de ce film en me disant « Mais tous ces gens qui jugent cet homme qu’il y a dans le box d’accusé, est-ce qu’ils n’ont pas des trucs à se reprocher  ».

Question : Avez-vous un mot à dire sur le lieu du film ? La ville de Beaune, ce n’est pas un hasard, parlez-nous des conditions dans lesquelles le film s’est tourné.

Claude Lelouch : On a créé une sorte de cité du cinéma, une petite cité du cinéma, avec des studios, des lieux de projections. Le maire de Beaune quand je lui ai parlé de mon projet m’a dit « Si un jour, tu te vois faire ta cité, viens la faire ici. » et c’est vrai que cette ville de Beaune est magique. Toute la ville est un studio, un décor, c’est la France profonde, la France moyenne, la province ce n’est pas rien, car tout le monde se connaît sans se connaître alors qu’à Paris, on ne se connaît pas.

Donc, quand j’ai découvert cette ville de Beaune, je me suis dit que je devais la créer là. Alors on a créé des ateliers de cinéma pour étudier les possibilités du cinéma de demain, car les nouvelles technologies sont impressionnantes, c’est tous les jours qu’on peut faire des choses incroyables. Aujourd’hui, on peut absolument tout filmer, 7 milliards de gens avec leur téléphone portable sont des cinéastes.

Donc j’ai dit qu’on va créer un atelier de cinéma à Beaune, pour que les plus doués d’entre nous puissent en faire leur métier, puis surtout j’ai la chance d’avoir parmi mes copains les plus grands metteurs en scène du monde. On s’est dit qu’on allait tous venir à Beaune faire des masterclass, passer 8 jours avec les élèves, et tous ces films, si tout se passe bien, passeront sur des chaînes de télé.

Ce n’est pas simplement un laboratoire, et donc on a réussi à faire ce film grâce à ces ateliers, car j’avais tout ce qu’il fallait à portée de main. Et il fallait compresser tout cela, car ces comédiens ne pouvaient pas être libres pendant trop de temps, donc ce film, on a réussi à le faire en un mois grâce à ces ateliers.

Et je vais proposer cela à tous les metteurs en scène qui voudraient venir faire un film d’une façon confortable. Aujourd’hui quand on est à Paris, la moindre autorisation, la moindre rue oblige à des détournements de circulation alors qu’à Beaune, pendant 1 mois, on a bloqué la ville et que tous les habitants de Beaune étaient à notre disposition.

On a crée à Beaune une petite cité du cinéma qui j’espère verra d’autres choses. Chaque année, on a 13 élèves, on ne peut pas en prendre plus, pour qu’ils puissent tout voir sur la réalisation du film. Ils ont été sélectionnés sur une réalisation d’un film de 6 minutes sur leur portable, et le thème de cette année, c’était « le crime parfait », on a déjà reçu 150 fichiers. Et les meilleurs feront partie de la prochaine promotion, voilà ce qu’il s’est passé et pourquoi ce film était passionnant à faire. Et tous les élèves ont suivi toutes les étapes de réalisation, et il suffit de voir un film de A à Z pour apprendre, c’est la meilleure façon de faire.

Question : C’est sur l’affiche du film, pourquoi avoir choisi un rubik’s cube et est-ce que le film en lui-même a été un casse-tête à faire ?

Claude Lelouch : Parce que la vie ressemble à ce jeu. Selon qu’on est d’un côté, d’une couleur, ça peut s’appeler un rubi’con aussi. Je me suis dit que c’était représentatif, car il suffit d’une seconde pour changer de destin. Selon qu’on va à droite ou qu’on nous dit non. Je ne remercierai jamais assez les gens qui m’ont dit non, car ça m’a permis de rencontrer les gens qui m’ont dit oui. Je suis un adepte du oui, j’ai du mal à dire non parce que j’ai peur en disant non de passer à côté de certaines choses.

Le non, c’est celui qui a peur, alors que le oui, c’est M. Courage. J’ai essayé de faire un film sur le positif où le non est plus important, où les mauvaises nouvelles laissent plus de traces que les bonnes. Où au journal de 20H c’est le marchés des mauvaises nouvelles, on a besoin de chaos, car la société dans laquelle nous vivons se nourrie de chaos et donc ce chaos il faut à un moment donner le gérer, le transformer en positif.

Question : Ce qui m’a frappé, c’est le mélange des genres, vous avez voulu faire l’ascenseur émotionnel.

Claude Lelouch : La vie est un mélange de genres, tous mes films sont des mélanges de genre. On m’a souvent dit qu’il ne fallait pas mélanger les genres, mais que fait la vie ? Elle ne fait que ça. Vous vous réveillez, vous faites un film psychologique, vous allez dans la rue et on vous vole votre porte-feuille, c’est un polar, à midi, vous rencontrez quelqu’un et c’est une histoire d’amour. On change de genre toute la journée et c’est ce que j’ai voulu faire avec ce film, mélanger les genres un peu plus que d’habitude.

Question : Oui un peu plus, en plus ici il y a le procès, une vraie question sur la justice.

Claude Lelouch : La justice est une chose importante dans ce film, les juges, sont les patrons du temps, c’est pourquoi Dupond-Moretti joue un rôle important, et il a été un important conseiller technique et conseil. On sait à quel point qu’il n’y a rien de plus fragile que la justice et on le voit bien actuellement. Si on fait un film sur aujourd’hui, sur notre époque, on est obligé de parler de la justice et c’est pourquoi les personnages se retrouvent dans cette cour d’assise où le hasard les a réuni, là où habituellement, on ne les aurait pas amener.

Je crois au courage du hasard, et j’ai de moins en moins confiance en l’intelligence, c’est trop pragmatique, on pense trop au sens des affaires.

Question : Eric DUpond-Moretti est un grand avocat pénaliste, il a dit oui tout de suite ?

Claude Lelouch : Oui, il a dit oui tout de suite, puis après il s’est dit qu’il avait fait la plus grosse erreur de sa vie. Ensuite quand il a découvert le rôle, il a été très excité, enthousiaste, je crois que ça reste un des grands moments de sa vie, ce tournage.

Question : Quel est votre secret pour que tous les acteurs de premier plan acceptent d’avoir chacun un rôle mineur. Les plus grands viennent tourner avec vous et se mettent vraiment au service de votre histoire.

Claude Lelouch : Je crois que c’est une question de confiance. Je ne l’invite pas pour rien, il y a un choix de rôle. Ils ont une partition agréable à défendre. Je suis un coach, pour moi les acteurs sont des athlètes de haut niveau, et je suis là pour les faire courir un peu plus vite. Je n’aime pas trop les rôles de composition, mais là leur rôle sont proches de leur personnalité, de ce qu’ils aiment faire, qu’ils savent faire.

Ils savent que lorsqu’ils viennent sur le plateau, ils vont pouvoir, se lâcher et se donner à fond. Notre relation repose sur l’amitié, quand on connaît bien quelqu’un, c’est à ce moment-là qu’on peut leur demander quelque chose. Ce sont des gens que j’aime bien, avec qui je peux déjeuner, que je veux avoir en ami. Ils prennent avec moi des risques qu’ils ne prendraient pas ailleurs. Ils savent que si ce n’est pas bon, ça sera coupé.

Question : Les personnages ont les mêmes noms que les acteurs, il y a un petit truc ?

Claude Lelouch : Non c’est pour gagner du temps sinon je vais les confondre. C’est une facilité pour moi, pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple, surtout avec un casting pareil. Il ne faut pas oublier que le jour du tribunal, il y a avait 30 stars dans la salle.

Question : Je veux revenir sur la scène chantée, à ma connaissance, c’est une des premières scènes chantées dans un de vos films, allez-vous nous faire un La La Land à la Lelouch ?

Claude Lelouch : C’est vrai que Damien Chazelle m’a dit que « Si je fais ce métier, c’est grâce à toi et Jacques Demy. » Mais ce film-là n’a pas la tonalité de la comédie musicale. La musique est un personnage important, mais dans celui-là, j’ai voulu m’amuser, d’où le clin d’oeil sur la connivence. Si j’arrive encore à avoir quelques forces, j’aimerais bien en faire une car ça fait 50 ans que je la prépare.

Avant de faire des films, j’ai déjà fait des scopitones, j’ai commencé avec Johnny Hallyday, ses premiers clips, mais c’est vraiment la première fois que je fais une scène chantée.

Le problème, c’est que j’avance en âge et le temps m’est compté.

Question : Avec quels grands acteurs aimeriez-vous tourner ?

J’aurais plutôt voulu tourner avec Gabin, De Funès, Bourvil, j’ai raté quelques comédiens, car on n’était pas de la même époque, mais là aujourd’hui, j’ai encore envie de tourner avec Dujardin, car je pense qu’on est vraiment fait l’un pour l’autre.

Je me suis beaucoup amusé avec Johnny Hallyday, un fabuleux chanteur et comédien, il est au sommet de son art dans les deux domaines. Il y a plein d’acteurs reconnus que j’aimerais bien faire tourner, mais aussi plein de gens comme ça que j’ai repéré dans la rue, qui m’interpellent et je me dis qu’ils seraient pas mal. Mais le temps m’est compté, alors d’autres metteurs en scène vont devoir faire le boulot à ma place.

Question : D’où vous est venu l’idée de prendre Nadia Farès dans un rôle si important ?

Claude Lelouch : Je la connais depuis longtemps, elle avait un petit rôle dans Homme, femme : mode d’emploi et je lui avais dit qu’on se retrouverait dans un autre film. Comme le rôle de la prostituée, avant d’arriver à Béatrice Dalle, c’était dur, toutes les femmes rêvent de jouer le rôle d’une prostituée, mais elle était la plus évidente pour ce rôle, c’est une femme cash, elle parle comme elle pense. Donc faire un casting, c’est un cauchemar, car il y a plein de gens géniaux. Et puis on est tous comédien, on joue tous un rôle, moi, je joue celui de Claude Lelouch, la comédie, c’est la chose la plus naturelle du monde, mais le truc, c’est que parfois une caméra, ça peut vous foutre le trac.

Question : Les dialogues sont-ils tous écrit ou il y a une part d’improvisation de la part des acteurs ?

Claude Lelouch : Alors tout est très écrit, mais au moment du tournage, j’aime bien tout réécrire. C’est un moment magique, le présent, il n’a pas le temps de vieillir et on s’aperçoit que tout ce qu’on a écrit dans un bureau est démodé, je n’avais pas les acteurs, les décors, les accessoires, les costumes. Et on voit les choses d’une manière différente, j’aime faire les derniers réglages, j’utilise ce que j’ai écrit, et il y a un peu de liberté, les acteurs apportent aussi de l’eau au moulin.

Les grands acteurs sont aussi des auteurs, se sont des êtres humains, c’est pourquoi je remets mon film en question au moment du tournage. C’est pourquoi mes scènes préférées sont celles qui n’étaient pas écrites, sinon celles écrites, on est auteur, on réfléchit trop. Là, on reste dans la spontanéité, elle est à mi-chemin entre la vérité et le mensonge, c’est l’inconscient qui parle, s’éloigne de l’intelligence.

Regardez les spécialistes, dans tous les domaines, ils savent tout, mais ils n’arrivent plus à analyser le monde dans lequel on vit, l’intelligence est un peu démodée, trop lente. Là, on revient un peu au sauvage, on arrive dans l’irrationnel, il n’y a pas d’école qui nous apprend à utiliser l’irrationnel, c’est pourquoi j’aime la musique, car elle lui parle directement.

L’intelligence permet le doute, et aujourd’hui, on doute de tout, car on a perdu le côté instinctif, animal, et c’est pourquoi j’aime ces scènes où l’instinct prend le dessus. C’est aussi pourquoi j’ai un peu de mal avec la critique, qui est rationnelle, basée sur l’intelligence, car je préfère l’instinct.

Question : Vous avez dit un jour que vous aviez l’habitude dans les scènes de dialogues de ne pas donner la réplique de l’autre, avez-vous utilisé ce système ? Surtout pendant le dialogue entre Dupond-Moretti et Béatrice Dalle.

Claude Lelouch : Il n’y a pas de règle, on a mille et une façon de tourner une scène, mais c’est vrai que dans une scène il y a celui qui parle et celui qui écoute. Et celui qui reçoit l’information est plus important que celui qui la donne. Car il est touché par l’information. Vous annoncez la mort de quelqu’un, celui qui reçoit est bouleversé alors que celui qui la donne est déjà vacciné.

Donc c’est vrai que les informations fortes, je les donne pendant le tournage, je souffle dans l’oreillette, et ainsi quand il donne l’information, l’autre n’a pas lu cela dans le scénario. C’est comme dans la vie, on n’a pas lu le matin ce qu’il va se passer. L’étonnement est un grand moment d’émotion, d’un seul coup encore, on va plus vite que l’intelligence, on est touché, on a envie de rire ou pleurer, et si l’information est colossale, on a la chair de poule.

Donc j’ai essayé pour les scènes très importantes de protéger ces surprises. Dans Un homme et une femme, sur la scène du quai de gare, elle ne savait pas qu’elle allait être rejointe. Son étonnement est véridique.

Au cinéma, on peut essayer de s’amuser à ce que les acteurs soient surpris, mais c’est compliqué, car les acteurs aiment lire les scénarios, ce qu’il se passe. Moi, j’aime bien ne pas connaître la fin de mes films, certains dialogues ont été crées au jour le jour.

J’essaye pour filmer la vie, de reconstituer les conditions que la vie nous donne avec ses surprises qui font que tout est possible. Dans la vie, on est dans l’insécurité totale, on fait attention, alors qu’un acteur ne fait pas attention, il sait qu’il ne risque rien. Comme dans un enterrement, dans la vraie vie, on ne pleurniche pas, alors qu’au cinéma si. Dans la vie, les gens ne font pas grand-chose, les grands acteurs ne font rien, les personnes sont d’une sobriété.

Parfois donc j’essaye ça, pour qu’on y croie un peu plus. Et je suis sûr que dans quelques années, on ne verra plus la caméra et on pourra filmer encore plus et aller plus loin dans la réalité. On pourra raconter des histoires avec des gens qui cessent de faire semblant, mais ce n’est pas pour tout de suite.

Question : Il y avait aussi beaucoup de place pour la santé est aussi très importante non ? Pourquoi avoir fait un personnage comme ça ?

Claude Lelouch : La santé, de toutes les obsessions, c’est la numéro une, c’est un préalable à tout. Mais c’est vrai que les bonnes nouvelles sont les meilleurs médicaments du monde. J’ai un vieux médecin de famille, que je ne vais pas voir très souvent *rire*, et dès que je vais le voir il me dit « T’inquiète c’est pas grave  » et dès qu’il me dit ça, je vais mieux.

Je crois qu’évidemment la maladie est là, mais les médecins me disent tout le temps que le moral est le plus important. On ne se rend pas compte à quel point le moral est capital, et c’est ça que j’ai voulu faire entendre. Bien sûr, on a poussé cela plus loin, mais je voulais montrer la force de la bonne nouvelle.

Et vous voyez que tous les personnages se croisent tous à l’hôpital ou dans la salle d’audience, car l’hôpital, c’est là où tout le monde va. C’était les deux thèmes très importants du film, un peu moins important que la justice, et un peu moins finalisé, mais quand même.

Merci à tous d’avoir vu le film et d’être restés pour ces questions-réponses.