Rencontre avec l’équipe de Petits crimes conjugaux

En novembre, Onirik a eu le plaisir de participer à une rencontre bloggeurs avec Fanny Cottençon, Sam Karmann, comédiens, et Jean-Luc Moreau, metteur en scène de Petits crimes conjugaux, d’Eric-Emmanuel Schmitt. Cette pièce, actuellement à l’affiche du Théâtre Rive Gauche, avait énormément plu à Onirik (retrouvez la chronique ici).

La discussion s’est naturellement ouverte sur les origines du projet et sur la motivation pour les comédiens de jouer ce couple. Pour se lancer dans une aventure théâtrale, il faut que la qualité du texte, du rôle et de l’équipe soient réunis nous ont-il tous deux expliqué. C’était le cas ici !

Le texte & le rôle

Fanny Cottençon a été attirée par l’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt qu’elle décrit comme forte, exigeante, lyrique. Le rôle lui a également plu, elle qui aime bien les personnages un peu excessifs : Lisa est une grande amoureuse qui est restée dans ce qu’elle avait appris petite, qu’amour rime avec toujours. Pour Sam Karmann, qui a déjà interprété de grands rôles classiques, le personnage qu’il incarne est un rôle certes très moderne, mais qui exige la même exigence d’interprétation d’un grand texte classique, mélangeant rigueur et souplesse pour bien saisir l’évolution du personnage (rappelons que Gilles est amnésique au début de la pièce).

La constitution de l’équipe

Fanny Cottençon et Sam Karmann ont déjà travaillé ensemble dans le pièce Love, de Murray Schisgal (Comédie des Champs-Elysées, 2001) et étaient heureux de pouvoir renouveler l’expérience. Quant au metteur en scène Jean-Luc Moreau, il a travaillé en tant que metteur en scène et comédien avec Fanny Cottençon sur la pièce d’Eric Assous, On ne se mentira jamais ! (Théâtre La Bruyère, 2015). Par ailleurs, il connaissait le perfectionnisme et la recherche d’exactitude de Sam Karmann dans son travail, ainsi que sa nature très volcanique. Il avait ainsi très envie de travailler avec eux sur ce projet.

La mise en scène d’un affrontement

Pour Jean-Luc Moreau, cette pièce est comme une hydre avec des styles variés : elle lui évoque Proust, Claudel, Hitchcock ou encore Pinter. C’est une boîte pleine de richesses à exploiter. Le metteur en scène nous a expliqué qu’il n’avait pas d’idée préconçue ou de stratégie de départ après sa première lecture de la pièce : il est parti des comédiens et tout s’est construit au fur et à mesure.

Un des éléments majeurs de ce travail du texte et de mise en scène a consisté à faire très attention à tout ce qui était réflexion dans le texte. En effet, Eric-Emmanuel Schmitt est docteur en philosophie, il est fondamentalement un intellectuel : c’est un homme qui manipule les concepts, l’abstraction, qui jongle avec les idées et les mots. Il fallait donc fuir tout raisonnement intellectuel, car pour le metteur en scène : « le théâtre est émotion, sensation, rapport physique entre public et comédiens, et comédiens entre eux ; cette combustion n’est pas intellectuelle ». Attention, cela ne signifie pas couper ou modifier le texte, mais rendre tout ce qui est raisonnement vivant et ressenti profondément. Il s’agit bien de « passer de la pensée à l’émotion », comme le formule Sam Karmann. Pour cela, il a fallu s’astreindre à un travail au microscope, trouver des gestes très précis qui prennent un poids émotionnel par exemple.

Des personnages qui se nourrissent de leurs comédiens… et vice-versa

Sam Karmann nous disait être fou de joie à la fin de chaque pièce où il termine par un magnifique monologue (nous ne vous donnerons pas plus de détails pour vous réserver la surprise). Jusqu’à présent, il n’avait jamais eu l’occasion de dire un tel texte, d’un homme secrètement romanesque et il s’y reconnaît. Toutefois, Gilles est éloigné de lui, notamment à d’autres moments de la pièce. Quoi qu’il en soit, c’est un personnage qu’il est heureux de jouer, et un texte qu’il a plaisir à dire.

En jouant, le comédien prend forcément appui sur sa vie d’une manière ou d’une autre, nous explique-t-il. Jean-Luc Moreau confirme en expliquant que le travail contient une grande part de questionnement : on prend des exemples personnels ou de l’entourage pour alimenter le travail. Ce ne sont pas des expériences nécessairement en adéquation avec la situation de la pièce, mais le principe est d’utiliser tous les éléments à sa disposition pour rendre les choses les plus organiques possibles (par exemple, pour transcrire la rage du personnage).

Le déroulement du travail

Ils ont beaucoup travaillé à la table. Ce n’était pas habituel pour Jean-Luc Moreau, pour qui « le théâtre, c’est du mouvement ». Toutefois, le metteur en scène nous a expliqué que c’était un passage nécessaire (et qui a pris assez longtemps) pour comprendre la pièce.

Pour Sam Karmann, la première étape a été d’apprendre le texte, et c’est un des textes pour lesquels il lui a fallu le plus de temps et d’énergie pour le mémoriser. Le comédien a à ce sujet une comparaison très pertinente : apprendre un texte, c’est comme apprendre le code de la route. Après, il faut conduire, et c’est en général le plus difficile !

Ensuite, le travail s’est construit au fur et à mesure, reposant sur un dialogue ouvert. On n’était pas dans une forme de dictature du metteur en scène ; au contraire, on était plutôt dans la force de la conviction, nous ont expliqué les comédiens. Fanny Cottençon nous expliquait que parfois, intuitivement, elle sentait que son corps s’opposait. Ils prenaient alors le temps de comprendre pourquoi. « Tout est possible avec Jean-Luc Moreau », nous dit aussi la comédienne, « on fait un véritable travail de création, c’est ça qu’on aime ». Son partenaire Sam Karmann acquiesce : « quand je travaille une pièce, je n’ai pas de filtre (social), et d’être accepté comme tel, c’est intense, cela donne une grande liberté. »

Jean-Luc Moreau a aussi beaucoup apprécié cette liberté : dans le travail, il faut accepter parfois d’être sec, de ne pas avoir d’idée. La confiance des comédiens lui permettait de dire : je ne sais pas. Il est important d’avoir la liberté de buter, plutôt que d’avancer coûte que coûte dans une mauvaise direction. Cela permet de réfléchir, de progresser.

Pendant les répétitions, le travail a été très difficile, les comédiens nous ont rapporté leur peur du ridicule. En effet, il y a de véritables morceaux de bravoure dans le texte, et celui-ci ne devient théâtral que s’il est vécu de l’intérieur. Une importante réflexion a donc été menée sur l’état, sur le sens. C’est la sincérité qui permet de faire passer le lyrisme. Pour Sam Karmann, un des monologues est comparable à celui d’Elvire quand elle vient parler à Don Juan [[Dans la pièce de Molière, acte IV, scène 6.]]. Il ajoute : « pour moi, c’est une pièce classique d’aujourd’hui ».

Quelle place pour l’auteur ?

Eric-Emmanuel Schmitt n’a pas participé aux répétitions, mais il a vu la pièce trois fois, la première fois à une semaine de la première représentation. Les comédiens nous ont avoué un grand stress avant de jouer devant lui, mais tout s’est bien passé et il a été très chaleureux ! Jean-Luc Moreau, pour qui c’est la deuxième collaboration avec Eric-Emmanuel Schmitt apprécie la confiance de l’écrivain et ses réflexions toujours constructives.

Jean-Luc Moreau est d’ailleurs à l’écoute de tous les éléments qui pourraient faire progresser le projet : « Le but est de raconter au public une histoire au plus près du texte et de la nature des acteurs. C’est notre pari. Tout m’intéresse, je suis perméable à toute critique, à toute remarque. Ce sont des éléments moteurs, nécessaires à la progression du travail. »

Merci à l’équipe de Petits crimes conjugaux et du Théâtre Rive Gauche pour ce moment privilégié et passionnant, entre rire, douceur, franchise et exigence théâtrale.

Une pièce à voir jusqu’au 31 décembre 2016.

Informations et réservations sur le site officiel du Théâtre Rive Gauche.

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