Rien qu’une belle perdue – Avis +

Présentation de l’éditeur

Pourtant, j’aurais dû voir venir le truc.

Il y a des jours comme ça où tout se nuance de mélancolie. Même les nuages revêtent une teinte particulière. Celle que j’appelle le noir clarinette. Cette obscurité mate et veloutée. Quelque chose d’accablant et d’infiniment doux à la fois. Ce printemps-là, il flottait sans interruption sur la ville. Un temps où il aurait mieux valu rester chez soi, à se laisser bercer par le tempo usé de la pluie. Mais il y a eu le cadavre de cet obscur musicien retrouvé dans le coffre d’une voiture.

Et je me suis retrouvé englué dans un drôle de bourbier, à patauger sur la piste d’une ancienne actrice de porno sauvagement assassinée, d’un mystérieux réseau de prostitution, d’une valise bourrée de drogue et d’un tandem de tueurs sadiques. Ça faisait beaucoup pour un seul homme ! Et puis, comme si tout ça ne suffisait pas, Flo est revenue faire trois petits tours dans mon existence. A partir de là, j’ai perdu le fil…

Mais j’imagine que ce temps sinistre a aussi joué son rôle dans toute cette affaire. Les choses auraient sans doute été différentes si j’avais retrouvé Flo en plein été, avec un soleil étincelant, propre à vous déciller les prunelles. Pour ma part, je sais que l’image que je conserverai d’elle sera celle de son visage sous la pluie, cette fameuse nuit de l’agression, et de son geste furtif de la main au moment où elle disparaissait dans la bruine, comme derrière un rideau de scène..

Avis de Marnie

Voici un très joli titre, tout à fait dans l’atmosphère désenchantée de ce roman policier qui sait parfaitement jouer avec les codes du roman noir américain, tout en gardant un ton résolument français. Ecrit à la première personne par un policier qui ressemble plus à un privé sorti tout droit de chez Dashiell Hammett [[qui se demanderait quoi faire du Faucon maltais]], ce récit est aussi raconté… en commençant par la fin, alors que son auteur vient de conclure l’enquête. Cela accentue les effets dramatiques qui semblent insister sur une sorte de fatalité inéluctable qui interpelle et intrigue le lecteur.

Rien qu’avec la première phrase, nous avons tout compris : «Pourtant, j’aurais du voir venir le truc.» Les évènements se succèdent, alors qu’à chaque fin de chapitre, notre commandant Gaspard Cloux nous donne suffisamment d’éléments pour comprendre que s’il avait remarqué tel fait, relevé tel indice, ou même jeté un regard vers telle personne, les choses auraient pu tourner différemment.

Est-il victime, acteur, témoin d’évènements qu’il ne peut maîtriser ? Truffé de références cinématographiques qui tournent toutes autour du film noir des années 40 et 50[[sans oublier les détails macabres et assez glauques que ne renieraient pas les grands blockbusters « serial killer » des années 90 comme Seven]], ce récit nous tient en haleine de bout en bout. Même si à trop donner d’indices, Eric Fouassier devance quelque peu ses rebondissements, empêchant le lecteur d’être vraiment surpris par les coups de théâtre, cette intrigue reste passionnante.

C’est notamment dû à l’introspection de notre héros. Gaspard Cloux est nettement plus attachant que dans Morts Thématiques. Electron libre totalement tourné sur lui-même… et sur sa petite fille qu’il a enfin repris depuis quelques mois avec lui.

Muté à sa propre demande à Strasbourg, son intégration n’est pas franchement réussie : méfiance des collègues comme de sa hiérarchie devant ce policier parisien trop qualifié, mais aussi, nous le ressentons grâce à une vraie subtilité dans l’écriture, par manque d’envie de sa part de partager ses pensées avec les autres. Tous ces sentiments mal définis, entre non-dits, frustration, jalousie, rumeurs et autres impossibles amitiés sont parfaitement approfondis, avec une certaine acidité désabusée qui sonne juste.

Même si des films comme La Dame de Shangaï d’Orson Welles, ou encore Assurance sur la mort de Billy Wilder ne sont pas cités, c’est évidemment à ces drames très noirs que nous pensons en lisant le polar qui réussit la performance de magnifier la femme fatale tout en oubliant toute misogynie qui pourrait être associée au thème. Un bien joli exercice de style de la part d’un auteur qui n’oublie pas au passage de distiller suffisamment d’émotion pour que nous nous attachions aux personnages.

Un écrivain qui confirme son talent, c’est toujours plaisant à lire !

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 356
Editeur : Pascal Galodé
Collection : Polars
Sortie : 21 avril 2011
Prix : 19,90 €