Risques majeurs : interview de Michel de Pracontal

Onirik : Peut-on parler de votre livre sans inquiétude pour notre vie ?

Michel de Pracontal : Personne n’a été inquiété pour le moment. Plusieurs représentants du lobby nucléaire ont pourtant reçu ce livre et au bout d’une semaine, il ne s’est toujours rien passé !

O : Nous avons suivi vos enquêtes sur le risque nucléaire dans le Nouvel Obs’. Sont-elles à l’origine du livre ou est-ce l’inverse ?

MdP : J’ai d’abord eu l’idée de faire une enquête au sujet de la sûreté nucléaire pour le journal car, dans le contexte actuel de privatisation touchant notamment EDF, se posaient justement des questions relatives aux risques nucléaires. A cela s’ajoutait l’envie depuis longtemps d’écrire un roman catastrophe et ce milieu protégé et très particulier cadrait bien avec la fiction.

O : Les incidents que vous décrivez sont-ils réalisables ?

MdP : Tout est possible. Cependant il faut un grand nombre de circonstances, chacune peu probable, mais c’est possible. Concernant mon roman tout a été vérifié par des spécialistes. Mais il est très difficile de quantifier la probabilité. Techniquement, il y a eu cet été un incident similaire à ce que je relate dans mon histoire au niveau d’une succession d’incidents d’alimentation électrique. J’ai écrit une fiction mais une fiction plausible. Je voulais que le scénario tienne la route devant des ingénieurs experts en sûreté nucléaire. La contrainte littéraire de cette rigueur scientifique était très intéressante même si j’ai du me casser la tête pour trouver un enchainement d’événements imprévus.

O : Suite à la lecture de votre roman, les experts ont-ils incorporé le scénario dans les procédures ?

MdP : Excellente question, je dois la leur poser !

O : Votre livre est très inquiétant. Court-on un risque en France ?

MdP : Il est difficile de répondre simplement oui ou non. Non car c’est un milieu professionnel remarquable, motivé et sérieux. Il est très dur de prendre les experts en défaut, il y a beaucoup de contrôles et une volonté d’avoir des procédures fiables. Des experts travaillent même toujours à imaginer de nouveaux scénarios catastrophes. Le souci c’est qu’il s’agit d’un système complexe ce qui implique du risque. En cas de dysfonctionnement important les conséquences seront elles aussi graves : sur l’environnement, les populations ?

De plus la pression économique pousse le service public vers une politique de compétition et donc de productivisme ce qui risque de ne plus garantir le même niveau de sécurité.

Enfin, on dépend principalement de l’énergie nucléaire et les centrales ont été construites il y a entre 20 et 30 ans avec une durée de vie prévue initialement de 30 ans même si cette durée a été revue à la hausse depuis. La France est donc équipée d’un parc vieillissant qui court le risque du défaut générique ce qui signifie que si un problème surgit dans une centrale il peut surgir partout en même temps. Or on ne peut pas se permettre d’arrêter la moitié du parc pour régler ce défaut. Après la menace terroriste existe évidemment mais ce n’est pas pire que pour les industries de type SEVESO.

O : On a évoqué le risque technique, et concernant le risque humain ?

MdP : Quand on réduit les heures de formation, le nombre de postes, il manque forcément des gens expérimentés. La qualité diminue donc il y a un risque aussi à ce niveau. Cependant c’est très difficile à évaluer. Je ne sais pas dire si le risque est plus grand maintenant qu’il y a 10 ans cependant je ne serai pas surpris si dans les cinq années à venir un accident sérieux se produisait, je ne parle pas de quelque chose du type de Tchernobyl mais d’un incident suffisamment grave.

Dans l’histoire du nucléaire les accidents ont toujours été dus à une succession d’événements improbables, événements qui au début paraissaient pourtant sans rapport. Tout simplement parce qu’il s’agit d’un système complexe. Les experts élaborent des scénarios mais ceux-ci sont linéaires. Ils cherchent des séquences inhabituelles pour améliorer tel ou tel composant seulement il y a tellement de possibilités qu’il faut nécessairement exclure des choix dans l’arbre des possibilités. Certaines configurations ne sont pas prises en compte car considérées comme invraisemblables ou difficilement réalisables. D’ailleurs l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) et EDF ne sont pas toujours d’accord entre eux sur certains risques comme par exemple le danger des tremblements de terre. Cela montre qu’il n’y a pas de réponses absolues. La modélisation effectuée permet de hiérarchiser les risques mais cela ne représente pas la réalité. Il est impossible d’avoir un outil d’une précision absolue.

Par conséquent si on accepte ce système complexe on accepte nécessairement le risque associé. Il n’est donc pas vrai de dire qu’il n’y a pas de risque mais ce n’est pas pour cela que ça va forcément « péter ».

Le souci est que les pannes sont impliquantes dans un système d’une ampleur à l’échelle du pays. S’il y a un problème cela va affecter à l’échelle de ce système. De plus, on ne crée pas une centrale pour 2 ans, on la crée pour 30 à 50 ans, donc elle vieillit, se modifie, le personnel évolue. Le plus gros problème du nucléaire est donc qu’il faut penser la sûreté sur deux ou trois générations. L’aspect temporel est très important vu qu’il faut pallier aux changements économiques, politiques, culturels, sociaux, etc.

O : Dans votre roman, les scientifiques enquêtant sur Tchernobyl meurent mystérieusement. Est-ce basé sur des faits réels ?

MdP : Il y a des rumeurs mais aucune preuve. Ce qui est sûr c’est qu’il existe un pouvoir organisé en France qui s’est donné les moyens de durer et ce depuis 30 ans. Ce pouvoir là existe, est très fort et surtout indépendant des pouvoirs économiques et politiques.