Rize

Ce documentaire montre comme les afro-américains de Los Angeles ont chorégraphié les émeutes des années après. Ces ballets se situent entre les danses tribales africaines jusqu’au maquillage des danseurs et la Capuera brésilienne née dans les favelas. Le rapprochement est frappant : le Krump présenté dans « Rize » et la Capuera sont nés dans des bidonvilles et sont des combats dansés créés par les populations pauvres. Que cherchent ces individus dans cette forme artistique ? À tuer le temps ? À prouver qu’elles existent ? À échapper à la pauvreté et aux gangs ? Tout cela ? Autre Chose ? Sous prétexte de présenter cette danse David LaChappelle pose de vraies questions de fond.

L’entrée en matière est drôle : « Aucune image de ce film n’a été accélérée ». La précision est utile car, parfois, le spectateur se demande.
L’introduction de ce long-métrage est composée d’images d’archives des émeutes de Los Angeles de 1965 et 1992. Ce rappel historique peu glorieux est très utile à la compréhension du documentaire. Une originalité à noter : le film n’a pas de générique. Le titre apparaît juste après l’introduction et « Rize » commence.

Tout part de Tommy, le clown en 2002 alors qu’il se produit dans la rue en dansant dans Watts, le quartier afro-américain très pauvre de Los Angeles, pour gagner sa vie. À cette époque, il invente officiellement une nouvelle danse basée sur les violences quotidiennes envers les plus indigents. Cet art sera même chorégraphié au fil du temps. Il évoluera. Des divisions naîtront. Le Krump a été inventé dans la rue, par la rue. Des compétitions sont même organisées. Le réalisateur a filmé l’une de ces « battles ». Deux groupes (les « Clowns » de Tommy et les « Krumppers » de Dragon) s’affrontent devant les caméras. Le fond sonore est guerrier, les danseurs tentent de s’impressionner à coup de pas de danse. La compétition est impressionnante et aussi agressive que les émeutes originaires du mouvement. Le spectateur sent la sueur dans les plans rapprochés. Ce soir-là, les « Clowns » remportent la victoire. Les représailles sont aussi immédiates qu’expéditives : la Maison de Tommy est saccagée.

Le Krump devient un langage artistique. Mais, c’est aussi plus que cela. Il permet d’exprimer ses angoisses, ses peurs, sa rage, la misère de sa vie et d’évacuer tout ce qui peut être négatif. Il sert de soupape de sécurité. Paradoxalement, ce mouvement est l’un des rares à ne pas être sexiste : hommes et femmes sont égaux sur la piste. Cependant, le Krump a aussi un revers de médaille comme nous avons pu le voire après la bataille filmée. Il ne contient pas toujours la brutalité car les danseurs s’y impliquent totalement, parfois jusqu’à la folie.

L’alternance inégale des témoignages et des démonstrations accorde un rythme particulier au film. Ce dernier ralentit ou accélère sans logique apparente. La ligne directrice paraît décousue. Ce n’est pourtant pas le cas : le spectateur suit les allées et venues des protagonistes et comprend petit à petit leur vie, leurs envies, leur rivalité. Briller (to rize en anglais) pour ne pas sombrer reste le fil conducteur.

Le discours des intervenants (danseurs et certains de leurs proches) est émouvant à chaque instant du film, surtout lorsqu’ils évoquent leur situation précaire et leur instabilité familiale. « Rize » provoque chez le spectateur une palette de réactions contradictoires très étendue : la joie, le rire, la tristesse, un sentiment de solitude, la compassion pour ces jeunes emprisonnés par des conventions sectaires. L’un deux souligne même que la majorité de la population chanceuse réduit la banlieue à des noirs qui jouent au basket-ball.
La situation est pourtant triste. Ces jeunes gens oppressés trouvent que la chance leur sourit car ils s’occupent et retrouvent leurs racines africaines alors qu’ils ne savent même pas s’ils mangeront au dîner. Le Krump est la seule planche à laquelle ils peuvent se raccrocher si elles ne veulent pas couler.

Les images sont écrasantes car le documentaire est tourné principalement en gros plan. Cela donne une impression de confinement évoluant très vite vers la claustrophobie. Comme si David LaChappelle nous entourait des murs invisibles du racisme et de l’exclusion. Les rares plans larges tournés à la tombée du jour où les lumières de la ville, du soleil couchant ou d’une fête foraine brillent provoque une nostalgie inattendue. En effet, que regrettent-ils de leur passé, ces jeunes qui n’ont pas d’avenir ?

La bande son est magnifique : on y trouve le son rythmique des tambours africains, du blues, du jazz, du hip-hop, du gospel, du R’nB et du rap. La bande originale du film est extraordinaire. De plus, elle colle fort bien aux images. Elle a pu me réconcilier avec des formes musicales (le hip-hop, par exemple) que je détestais. De plus, elles s’accordent avec souplesse aux images jusqu’à ce que le spectateur confonde sa vue et son ouïe. Les danseurs nous expliquent clairement qu’ils refusent le hip-hop commercial. D’ailleurs, toutes les musiques de « Rize » ont été composées exclusivement pour le film

Le documentaire ne prend aucun parti, n’est pas condescendant. Il soumet aux spectateurs l’une des solutions qu’une partie de la population a trouvé pour échapper à la misère.

Montrer une danse sert de prétexte à « Rize » pour nous ouvrir les yeux sur une réalité. Intellectuellement, nous connaissons la situation des laissés-pour-compte des pays riches. « Rize » nous force à regarder cette réalité en face. Seules les dix dernières minutes du film offrent une démonstration grandeur nature de ce combat dansé. « Oh ! Happy Days » ouvre le bal qui se termine par un morceau de rap.

Site officiel : http://www.rizemovie.com/index.php