Robes noires pour les blouses blanches

J’ai trouvé. Après dix ans de recherches acharnées, j’ai enfin trouvé. Par souci d’honnêteté je devrais dire « nous », mais le temps me presse et je n’ai pas le loisir de m’étendre en remerciements pour mon équipe. De plus, je connais très bien chacun de mes collaborateurs et aucun n’est prêt a accepter la vérité puisque la plupart ont finit par m’abandonner et les autres, hélas, n’ont plus de soucis à se faire. Il est évident que mes conclusions peuvent paraître complètement folles mais j’espère que quelqu’un, au moins, me croira et saura alerter les autorités, ce que je ne pourrai jamais faire.

J’ai commencé à étudier la virologie il y a plus de trente ans et je pense avoir fait mes preuves dans ce domaine. Mes pairs reconnaissent mes compétences et les différents ouvrages de vulgarisation que j’ai publié sur ce sujet ont toujours connu un grand succès. Pourtant mes dernières théories ont été rejetées systématiquement dès que j’ai abordé le sujet.

Ces dernières années j’ai été amené à étudier la malformation de la protéine PrPc en PrPsc, c’est-à-dire le prion. Cet agent infectieux est depuis longtemps un mystère. Une protéine saine devient morbide et contamine à son tour d’autres protéines dans une cercle vicieux entraînant la mort du porteur en rongeant entièrement le système nerveux.

J’ai toujours été convaincu que le vecteur était un rétro-virus qui synthétisait justement la protéine PrPsc. Le mécanisme générale d’infection correspondait bien à un fonctionnement viral. Le seul souci est que malgré toutes mes recherches je n’ai jamais pu trouver une réponse immunitaire chez les hôtes infectés. A cela s’ajoute le fait que la maladie se transmet entre des animaux d’espèces différentes : de la vache à la chèvre, du porc au cheval et que tous ces animaux peuvent contaminer l’homme, et réciproquement.
Il est important de préciser que cette information m’a ébranlé. Je suis un fervent adepte d’une explication darwiniste des virus. Le mécanisme général de variation/sélection s’applique parfaitement à ces micro-organismes. Au gré de sa reproduction le hasard génétique produit forcément – à un moment donné de l’histoire de la longue mais rapide descendance du virus – un autre lui même au génotype équivalent mais dont le phénotype rend le nouveau modèle plus à même de survivre dans un environnement donné. Par contre, la contamination inter-espèces est très rare car la probabilité qu’un virus ait pu s’adapter de la sorte à deux environnements différents est infime. Considérer qu’un virus à l’origine du prion est transmissible à tous les mammifères ressort d’une impossibilité mathématique équivalente à celle de trouver une cellule active dans une granule homéopathique.
Ces derniers résultats, qu’aucun laboratoire ou gouvernement n’a voulu jusqu’ici transmettre au grand public, expliquent en grande raison pourquoi la plupart des fonds destinés à la Recherche Médicale furent quasiment tous destinés à combattre ce fléau. Les décideurs ont été d’autant plus obligés de réagir de la sorte quand l’Institut Pasteur a montré que l’infection pouvait se transmettre sans contact. Avant cette découverte, mes confrères, et moi y compris, pensions que c’était principalement l’ingestion d’une portion d’un système nerveux malade qui propageaient la protéine déviante. Mais l’Institut réussit à prouver, en grande partie par hasard, que deux animaux enfermés dans des cages séparées et distantes de plusieurs mètres pouvaient s’infecter. Les laborantins commencèrent à prendre peur quand certains découvrirent qu’ils étaient à leur tour porteurs. Me concernant, je ne me fais pas d’illusions. Je n’ai pas besoin de faire de tests pour savoir que moi aussi je suis infecté. Mais je n’ai guère de souci à me faire sur ce point, je doute que ce soit la maladie qui m’emporte.

Contrairement à beaucoup de mes collègues, j’ai continué mes recherches. Malgré l’argent investi massivement, beaucoup abandonnèrent, encore plus échouèrent. Mon équipe et moi avons réussi. Nous avons trouvé, mais pas forcément ce que nous pensions. Nous avons mis en oeuvre un nouvel appareil de filmographie, une caméra haute-définition qui enregistre plusieurs milliers d’images secondes associée à un microscope électronique spécial. Puis nous avons mis sous la surveillance de cet appareil des neurones en culture et les avons laissés à portée d’un animal infecté.
Il s’en est suivi de longues séances d’analyses des millions d’images ainsi obtenues. Cela ne fut pas en vain car nous avons réussi à identifier le virus tant recherché. Ce dernier est d’une efficacité terrifiante. En suspension dans l’air, il se fixe rapidement sur les cellules nerveuse, libère quelque protéines PrPsc et, chose surprenante et incompréhensible, meurt quelques secondes après avoir synthétisé le prion. Le système immunitaire met plusieurs jours à mettre en oeuvre les défenses nécessaires contre une infection virale classique. Dans le cas de cette mort rapide, il est évident que le corps humain n’a pas le temps d’établir une réaction immune.

Cette découverte nous posa plusieurs problèmes. Le premier de ces problèmes étant de comprendre, puisque le virus meurt aussitôt la molécule produite, comment il peut être transmis puisqu’il n’existe plus dans l’organisme. Nous avons tout d’abord pensé que nos observations étaient mauvaises et nous les avons donc recommencées. Entre temps, la plus part de mes collègues sont tombés malade et ont arrêté les recherches. Avec le peu qui restait, nous avons essayé d’autres méthodes, d’autres expérimentations et à chaque fois nous sommes arrivés à la même conclusion : le virus s’auto-détruit une fois la protéine synthétisée et fixée aux cellules nerveuses. Il nous restait donc à découvrir comment le virus pouvait réapparaître mystérieusement.

Nous avons mis une année supplémentaire. Pendant cette année, certains médias se montrèrent moins enclins à accepter les diktats gouvernementaux et des rumeurs filtrèrent dans la presse. Plusieurs magazines scientifiques, plus désireux de faire du chiffre que d’annoncer la vérité, firent une pléthore d’articles détaillants la fin prochaine et certaine de l’espèce humaine. Cet anthropocentrisme montrait bien l’aveuglement de ces ignorants qui laissaient volontairement de côté le reste des mammifères pour faire du sciençationnalisme. Puis, soudainement, ils changèrent leur fusil d’épaule et chiffres à l’appui, grâce à de grands gourous des statistiques, montrèrent que malgré un fort taux d’infection la mortalité était identique chez les malades et chez la population saine même si cette dernière catégorie avait tendance à rapidement basculer dans la première.

Quelques changements s’opérèrent suite à cela. Les crédits alloués à la recherche diminuèrent de façon exponentielle et c’est en acceptant de ne pas être payés que nous pûmes aboutir.
La découverte fut bouleversante tant d’un point de vue scientifique que sur le pur plan de l’émotionnel. A ce stade il me paraît important de préciser que je n’ai jamais eu de période mystique. J’ai toujours réussi à trouver une explication épistémologique à tout. Je n’ai évidemment jamais cru en Dieu. Venant d’une famille qui a dû changer son nom de Rottenberg en Rougemont suite à la dernière guerre peut expliquer ce dernier point. Je pense surtout que depuis longtemps Dieu n’est plus une donnée des équations que nous devons résoudre pour comprendre le monde qui nous entoure. Ma digression peut paraître étrange mais je tiens à vous faire partager mon état d’esprit au moment de ce que j’appelle « ma révélation ».

L’ensemble des découvertes réalisées autour de ce virus m’a donné la certitude qu’il s’agit d’une création. Même en considérant que l’évolution peut faire des bonds énormes, nous l’avons bien vu avec le schiste du Burgess, ce virus est aux autres micro-organismes ce que l’homme est aux procaryotes.

Ce n’est pas parce que j’ai pensé création que j’ai aussitôt cru en Dieu. Dieu ne fut que ma deuxième hypothèse car je ne pouvais pas envisager la troisième qui, hélas, est la bonne. Ma première théorie fut, bien sûr, de croire à l’intervention humaine. Je ne suis pas juvénile dans mon métier et encore moins naïf. Je sais que les Américains ont toutes une batterie de virus terrifiants aux cotés desquels Ebola passe pour un vilain rhume. D’ailleurs les Américains ne sont pas les seuls. Généralement ces virus ont un très haut pouvoir de contagiosité et, bien que faisant de terribles ravages, l’isolement permet généralement d’éradiquer la maladie. Les derniers foyers infectieux en Afrique n’étaient pas forcément innocents et la rapidité d’intervention de l’ONU pour circonscrire la région laisse planer un doute plus que raisonnable. Toujours est-il que le virus que j’ai découvert dépasse largement le niveau d’ingénierie génétique des meilleurs spécialistes mondiaux. Humains en tout cas. Les moyens techniques et la connaissance du vivant nécessaires à la conception d’un tel organisme sont tout simplement hors de mesure. Humaine, je précises une fois de plus.

La deuxième hypothèse fut vite abandonné quand mon troisième et dernier collaborateur mourut dans les mêmes conditions étranges que les autres. La police ne m’a jamais laissé voir les corps mais il ne faut pas être expert pour remarquer sous un linceul que la tête n’est plus rattachée au tronc. Tout au plus eu-je le temps d’apercevoir la main exsangue de Jean-François, mon plus proche collaborateur et ami. Cette vision m’inspira une crainte primitive, indicible aurait dit ce malade de Lovecraft. Longtemps j’ai cherché une définition de ce mot, le vivre me l’a fait comprendre.
Ne croyez pas que je m’égare sinon vous n’accepterez jamais la terrible vérité que j’ai à vous dire.

Je les entends qui arrivent. Je dois me dépêcher de finir mon message aussi j’espère que malgré quelques raccourcis vous admettrez l’urgence de notre situation. Quand je dis « notre », je parle à l’échelle de l’Humanité entière. Précédemment, j’évoquais notre anthropocentrisme, cette même erreur nous a longtemps fait croire que nous étions en haut de la chaîne alimentaire. Les créatures qui frappent à ma porte en ce moment sont la preuve vivante, encore que je ne sois pas sur que ce terme s’applique à ces êtres, que nous ne sommes que du bétail et eux sont nos éleveurs. J’ai réussi à prendre des clichés d’eux. Je les joins au présent message. Ces images, associées à ma monographie sur le virus, achèvera de vous convaincre, j’en suis persuadé. Du moins, je l’espère, car moi-même j’ai eu du mal à admettre tout cela. Il est d’autant plus difficile à admettre que ces « créatures », lâchons le mot : vampires, aient inventé une telle abomination pour nous rendre plus tendres à leur goût.

Je n’ai plus le temps de continuer, ils ont réussi à rentrer. Organisez la résistance, je vous en supplie.

— 

Quand le message arriva sur le serveur de news de son fournisseur d’accès Internet, il disparut sans laisser de traces.