Silence – Avis + et Avis +/-

Présentation Officielle

XVIIe siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme.

Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

Avis de Valérie

Martin Scorsese a choisi de nous parler d’un pan de l’histoire du catholicisme, qui, on l’avoue, est pour le grand public plutôt obscur et inconnu. Il s’agit de la christianisation du Japon. Le zèle des jésuites est légendaire et on ne s’étonne pas que certains missionnaires aient atteint les côtes nippones. Par contre, ce qui surprend est la percée de cette nouvelle religion qui a fait de nombreux convertis parmi les populations pauvres.

Mais son expansion est finalement durement réprimée au XVIIe siècle, avec des massacres et des persécutions terribles. Les padres ont fui, ont été tués, mais deux jeunes prêtres ne veulent pas abandonner leur mentor, le père Ferreira. On leur a rapporté qu’il avait renié sa foi, et s’était installé dans l’île principale, mais ils ne peuvent, ne veulent pas le croire.

Les pères Sebastião Rodrigues et Francisco Garupe s’embarquent pour le Soleil Levant avec un seul objectif, retrouver Ferreira. Mais en arrivant sur place, ils doivent se cacher et ne peuvent éviter d’administrer les sacrements. L’attente des croyants est si ardente, qu’ils se sentent submergés par la demande… Puis, de village en village, ils vont finir par se découvrir et être emprisonnés.

La France n’aime pas que ses héros aient des faiblesses, comme par exemple croire en Dieu. Le grand Martin Scorsese de Taxi Driver, Raging Bull, ou de New York, New York, mais aussi de La Dernière tentation du Christ ne peut pas se laisser aller à des bondieuseries. Si s’intéresser aux rites et donc à la rationalisation humaine de la foi est permise, surtout pour un italo-américain, s’aventurer sur les territoires inconnus de la foi aveugle et pure fait peur ou répugne.

Pourtant, ce magnifique long métrage (plus de 2H40 de film, mais on ne s’ennuie pas un seul instant, sauf si vraiment vous êtes rétif au scénario) raconte une histoire incroyable. À quel point la conviction d’un homme peut le modeler, le conduire, le tenir debout, le faire vivre, même lorsque tous sont contre lui, même lorsque la seule solution est la souffrance ou la mort.

Cette conviction est ici la foi en Dieu, mais elle pourrait totalement être une volonté humaniste, politique, un idéal sociétal… Ne vous laissez pas ralentir par vos préjugés et plongez profondément dans cette histoire superbement filmée. Certaines images, enfin de nombreuses images, sont ciselées comme des peintures de grands maîtres. On est sous le charme.

La reconstitution historique est passionnante et totalement crédible. On a rarement vu le Japon comme ça. C’est à la fois exotique et lisible par tous. Le spectateur est ému par la souffrance de ces pauvres hères, par leur courage, par leur dévouement. Et la seule interrogation se pose en fait sur ces deux jésuites trop jeunes pour pouvoir supporter la gigantesque pression que leur imposera le gouvernement régional.

Car les tuer n’aidera pas à éliminer le catholicisme de l’île, il est bien plus futé de les faire apostasier publiquement afin de démontrer que la foi en ce Dieu unique est vaine. Faire reposer un long-métrage de grande ampleur sur deux jeunes acteurs est également une décision délicate, et pourtant Andrew Garfield et dans une moindre mesure Adam Driver, maintiennent le cap.

C’est un rare plaisir que de visionner une oeuvre si personnelle d’un grand réalisateur. Il nous l’offre comme un testament de coeur, pour nous faire partager une fraction de son intimité. L’ensemble est contemplatif, cohérent, magnifique et merveilleusement interprété par les acteurs occidentaux comme asiatiques.

Faites-vous plaisir, allez voir ce film en salles pour profiter du talent du directeur de la photographie en vous laissant captiver par cette fresque épique !

Avis de Vivi

Suspense… Silence ou la dernière tentation de Martin Scorsese, celle d’adapter à l’écran le livre éponyme de Shusakû Endô, projet qu’il envisageait, en fait, dès 1990 et qu’il a mené à son terme avec une peine proche de celle du Christ portant sa croix…

Japon, 17ème siècle, le shogun déclare le christianisme officiel illégal… Recherche le père Christovao Ferreira (Liam Neeson)
désespérément… Qu’est devenu le père spirituel des deux jeunes missionnaires jésuites, Sebastian Rodrigues (Andrew Garfield) et Francisco Garupe (Adam Driver), que la compagnie de Jésus portugaise a envoyé évangéliser les autochtones japonais et qui a cessé d’envoyer des rapports à l’Eglise de Rome ?

C’est pour percer le mystère de ce silence pesant et inquiétant que le père Valignano (Ciaran Hinds) finit par accepter que Rodrigues et Garupe quittent Macao, base des opérations portugaises en Extrême-Orient, pour se rendre discrètement sur cette terre nippone qui persécute les chrétiens refusant de renoncer à leur foi, accompagnés d’un guide japonais perturbé, Kichijiro (Yosuke Kubozuka).

Tous les éléments du suspense, à savoir une situation ou un événement dont on attend la suite avec angoisse, semblent ainsi réunis. D’entrée de jeu (et de film), le spectateur découvre Ferreira qui surgit à gauche du cadre pour y prendre toute sa place et assister, impuissant et horrifié, à la torture de ses fidèles qu’on ébouillante à la cuillère.
Il le voit apostasier, c’est à dire piétiner le visage du Christ pour abjurer sa foi (l’épreuve du fumi.e). Le suspense va donc se déplacer vers les deux missionnaires : Leur foi leur permettra-t-elle de poursuivre leur apostolat et de résister à la souffrance prévisible dans cet archipel hostile ou devront-ils apostasier à leur tour et voir s’effondrer leur « forT intérieur »?

Un silence assourdissant… Le récit de leur voyage périlleux est immédiatement pris en charge par la voix-off de Rodrigues qui renvoie fidèlement au « je » du narrateur qui occupe la moitié du roman de Shusakû Endô. Le procédé va permettre à la voix intérieure de chuchoter le doute de la foi («I pray but I’m lost») car comment ne vacillerait-elle pas face au silence coupable d’un dieu qui n’intervient pas pour éradiquer le mal ? Une voix qui se cache autant que les corps condamnés à la clandestinité et à se faire oublier sous des trappes ou dans des huttes (travail épatant du décorateur Dante Ferretti). Des corps que l’ennemi met cruellement à l’épreuve…quand un cri s’achève en un silence de mort ou que le rugissement des vagues succède au chant du condamné…

La bande-son du film fait l’objet d’un soin maniaque, le silence évoqué et invoqué par le titre n’interdit pas le miaulement du chat, la stridulation des grillons, le bruit de la pluie, le crépitement du feu, le bruit sec de la lame. Une musique savante, proche de la musique concrète, qui produit donc des sons mais pas de mélodie, même lors du générique de fin que des bruitages accompagnent… Le comble du masochisme pour le grand mélomane qu’est Scorsese !

On sait que l’expiation et le péché sont au coeur de toute l’oeuvre de Scorsese, et ce, dès son premier opus, un film d’étude, Who’s that knocking at my door? (1967) hanté par la dialectique délinquance/religiosité. On connaît aussi les figures ou symboles religieux récurrents dans son cinéma. D’abord le miroir, le souvenir le plus exemplaire étant le délirant «You talkin’ to me?» de Travis Bickle (Robert de Niro), héros scorcésien envahi par le doute devant la glace dans Taxi driver (1976), qui se manifeste dans Silence lorsque Rodrigues, accablé par le silence divin, voit soudain le reflet du Christ peint par El Greco se substituer au sien dans une flaque d’eau, moment d’une grande beauté visuelle. Ensuite le sang qui gicle comme dans la scène de la crucifixion dans La dernière tentation du Christ (1988) qui trouve son équivalent ici dans la séquence inattendue de décapitation.

Mais comment expliquer que Silence ne suscite pas le même enthousiasme que ses films précédents ? Il étire la réflexion religieuse, japonais et chrétiens confrontant leurs dogmes à maintes reprises dans des champs contrechamps d’une grande banalité et prend ainsi le risque de lasser son spectateur-2h41 tout de même!- Puis, si le jeu des acteurs japonais est irréprochable-les demandes répétées du traître Kichijiro de se confesser finissent par arracher un sourire!-celui d’Andrew Garfield, omniprésent, ne suscite pas assez d’empathie. Certes, son personnage doit se cacher et agir avec douceur mais il est à la limite de la fadeur, rendant la puissance cinégénique de Liam Neeson encore plus évidente. Enfin, le souci de dresser un inventaire des tortures pratiquées dans le Japon de l’époque peut installer un sentiment de malaise et passer sous silence les sévices infligés par les évangélistes eux-mêmes peut prêter le flanc à la critique.

Il reste que l’on est tout de même touché par la grâce de certains plans et saisi par des fulgurances visuelles-ici une magnifique plongée sur les trois prêtres, soit le point de vue de Dieu, et un panoramique vertical qui s’élève jusqu’aux cieux, là un objet sublimement éclairé que l’on emporte, en silence, dans la tombe… On comprend que Scorsese, 74 ans, ait eu besoin de chercher une forme d’apaisement en approfondissant ce long dialogue avec Dieu et on s’émeut en songeant qu’on n’a toujours pas fini de tuer en son nom…

Fiche technique

Sortie : 8 février 2017
Durée : 161 minutes
Avec : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Tadanobu Asano, Ciarán Hinds, Yôsuke Kubozuka…
Genre : drame

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs