The Trials – Avis +

Présentation officielle

« Tu m’as volé mon enfance… avec tes mots vides. » Greta Thunberg.

Un gouvernement vert radical est au pouvoir, essayant d’arrêter le changement climatique galopant et de gérer les ressources rares dans ce monde futur proche. L’ancienne génération est jugée pour crimes contre le climat dans une série de procès publics. Un jeune jury de 12 à 17 ans se débat avec sa responsabilité ; le sort de trois accusés adultes est entre leurs mains. Peuvent-ils rendre justice ou servent-ils à se venger ?

Avis de Claire

Dans le quartier branché de Seven Dials, à Londres, se niche un petit théâtre qui propose des productions de haute volée, tout en respectant une tradition de simplicité. Cet ancien entrepôt de houblon, du 19e siècle, s’est transformé en studio de cinéma muet dans les années 1920, puis en une salle de spectacle pour enfin devenir à l’orée des années 1990, le théâtre tel qu’on le connait aujourd’hui. Celui-ci se fait fort de mettre entre comédiens et public une déconcertante (mais ô combien plaisante) proximité. The Trials [[Les Procès, on a hâte qu’une telle production arrive en France !]], la dystopie de Dawn King, son propos alarmiste, ainsi que la mise en scène au cordeau de Natalie Abrahami, se prêtent admirablement au lieu.

En cet été 2022, la pièce se joue pour la première fois en Grande-Bretagne, mais la création originale était en allemand, en janvier 2022, à Düsseldorf, avec un autre casting et une autre mise en scène, sous le titre de Das Tribunal. Le texte s’est créé à partir de réflexions de 1300 jeunes, parmi eux, 200 participants à des ateliers initiés par le théâtre Donmar. Seuls douze apparaissent sur scène, pour la moitié d’entre eux, il s’agit de leur première pièce en tant que professionnel, même si nombre d’entre eux sont déjà apparus sur grand et petit écran. Douze enfants en colère qui ne sont pas sans rappeler les Douze hommes en colère (Twelve Angry Men, 1954) de l’Américain Reginald Rose. Mais la comparaison va s’arrêter là.

Dans un futur sans doute très proche, rien ne va plus. L’air est devenu irrespirable, la neige a totalement disparu, de même que la barrière de corail, certaines régions sont dévorées par la chaleur et la sécheresse, tandis que d’autres se noient dans une eau boueuse. Douze jeunes gens sont chargés de juger « la génération des dinosaures », celle de leurs parents, qui n’ont rien fait -ou si peu-, pour la survie de la planète. Ces enfants sont les purs produits de leur monde, habitués à l’économie de moyens. Ils sont vêtus simplement, chacun semblant incarner un stéréotype, le cahier des charges de la pièce évoque d’ailleurs des exigences minimales et durables en matière de costumes, on a noté qu’un des personnages a des chaussures déchirées.

La salle est petite, intimiste, plongée dans le noir. Un homme déclame un long monologue où il fait son mea culpa. C’est l’accusé numéro Un. Il y en aura trois. L’accusé (Nigel Lindsay, poignant, vu dans Victoria, notamment) travaillait pour une agence de publicité, voyageait à outrance, dépensait sans compter, a même eu trois enfants (c’est ce qui choque le plus la bande de jeunes). A cause de son mode de vie consumériste, il risque gros. Mais le spectateur est encore loin de soupçonner quel est l’enjeu de ce procès, car c’est bel et bien d’un procès dont il est question.

Le jury se compose d’enfants, d’origines et d’horizons différents, ils ne s’étaient jamais rencontrés avant. Parmi eux, Ren (Honor Kneafsey, vous la connaissez sûrement elle jouait la petite fille de l’avion dans un incroyable épisode de Sherlock, elle était également flippante en Joséphine dans La Maison biscornue d’après Agatha Christie). La jeune fille s’impose en leader du groupe, par la manière douce, mais aussi avec rigueur, intelligence, logique. L’enjeu est de taille, il s’agit de vie et de mort. A l’issue de chaque soliloque, le verdict tombe, implacable.

Parmi les jeunes, trois clans s’opposent assez rapidement, il y a bien sûr les indécis, les antis-peine de mort, et ceux qui ont épuisé leurs réserves de compassion. Parmi eux, Noah (Joe Locke, qui confirme tout le bien que l’on pensait déjà de lui après Heartstopper), radical dans ses opinions, suivi presque aveuglément et amoureusement par Chris, qui se définit comme non binaire avec le pronom anglais they (le personnage est interprété ici par l’excellente Rue Millwood, mais pourrait tout aussi bien être joué par un acteur). Bientôt se dessine pour eux cette terrifiante remise en question : « à quoi bon être humain si l’on perd son humanité?’. La charge est trop lourde pour eux, injuste, disproportionnée.

Dans ce groupe de jeunes gens en fleur, d’autres papillonages éclosent, notamment Ren et Xander, touchant poète en herbe (Will Gao, également échappé de Heartstopper). Mais chacun prend son rôle au sérieux. On a été épatés par la prestation pleine de rage et de fougue de Jowana El-Daouk, dans le rôle de Gabi, toute en souffrance retenue. Son avis reste sans concession, qu’elle juge une autrice de pièces de théâtre (une sorte de mise en abime de Dawn King par elle-même ? interprétée avec justesse par Lucy Cohu), ou une haut-placée de compagnie pétrolière (Sharon Small, vue dans Downton Abbey).

L’étroitesse des lieux nous rappelle sans arrêt que nous sommes dans un procès, la proximité des jeunes acteurs, qui passent sans cesse d’un bout à l’autre de la salle, s’approchent très près du public, jusqu’à le frôler, leur habilité à changer tables et chaises de place en un clin d’oeil, participent à construire une impression d’étouffement, laquelle est accentuée par des effets de fumée. Le monde a véritablement basculé. La pièce nous rappelle que l’échéance est déjà là, et nous pose ces douloureuses questions : quel monde allons-nous léguer à nos enfants ? Et comment vont-ils juger notre comportement ?

Si le sujet est tragique parce que réellement palpable durant cet été 2022 qui enchaine de par le monde les alertes canicule, les incendies dramatiques, les inondations dévastatrices, l’humour se cache néanmoins dans le côté sarcastique des personnages, auxquels la troupe de jeunes acteurs prête énergie, charisme et même une certaine tendresse. On les sent très solidaires, investis, concernés. Le sujet touche au coeur, indubitablement, et son propos n’en a que plus de valeur, défendu ainsi par cette génération d’acteurs qui brille déjà, et qui demain crèvera l’écran.

Ne manquez pas les toutes dernières minutes (alors que la plupart des spectateurs sont déjà partis), où les jeunes comédiens nous livrent leur message personnel d’espoir pour le monde de demain. Inoubliable et incontournable.

Fiche technique

Texte : Dawn King
Avec : Elise Alexandre, Francis Dourado, Jowana El-Daouk, Will Gao, Pelumi Ibiloye, Honor Kneafsey, Joe Locke, Rue Millwood, Charlie Reid, Meréana Tomlinson, Taya Tower, Jairaj Varsani, Lucy Cohu, Nigel Lindsay, Sharon Small
Mise en scène : Natalie Abrahami
Horaires : du lundi au samedi à 19h30, matinées jeudi et samedi à 14h30
Prix : de 10 à 45 £
Lieu : Donmar Théâtre 41 Earlham Street, Seven Dials, Londres WC2H 9LX Royaume-Uni

Crédit photos : Donmar Théâtre